[Flash Back : il y a un mois...]
Du flou...
Un magnifique flou artistique voilait la vision de l'homme allongé sereinement sur la vaste étendu glacée.
Une sensation de picotement désagréable lui parcourait l'intégralité du corps. Comme s'il cherchait à l'en chasser, il leva une main devant ses yeux et en profita pour masquer le soleil. C'était une très belle main, ça était certain. Cela se voyait même dessous son gant.
Ça a marché.
Incrédule, il mit un certain temps à digérer cette information.
C'pas comme si je mettais en doute mon savoir faire mais là pour le coup, sans partir perdant, c'était pas gagné...
Il serra puis desserra ses doigts à mesure qu'il recouvrait la vue.
Magnifique.
Le vent glacial venait souffler sur son visage découvert, ses lèvres brulantes abimées par le froid mordant.
Cela fait combien de temps que je suis là allongé ? ...
Bien suffisamment ça ne fait aucun doute ! Allez t'es vivant et tu t'es assez reposé. Maintenant, lève-toi et marche !
Il inspira profondément et dans une torsion simple, il se fit pivoter sur la tranche avant de s'appuyer sur un coude pour redresser le torse.
Humpf, plus difficile que je ne l'aurais pensé, j'y suis peut-être allé un peu trop fort...
Lentement la sensation de picotement quittait son corps et en parallèle, lui, progressait dans son ascension vers la position bipède.
Ce n'est qu'après d'éprouvants efforts qu'il se retrouva enfin debout sur ses deux pieds.
D'un pas mal assuré il s'avança vers le gros bloc de glace éclaté face à lui. C'était ça le fautif et il le savait, même s'il ne se souvenait pas des détails qui avaient précédés son réveil.
Essoufflé et lassé il se laissa tomber sur les vestiges de glace et contempla le spectacle qui faisait face.
Pas d'autres termes que le mot "charnier" ne lui vint à l'esprit. Les yeux fermés et le visage en arrière comme pour profiter de l'air frais, il soupira profondément.
Il était seul, couvert de sang, ankylosé, mais ses muscles étaient puissants et son corps robuste. Il s'en remettrait vite.
Il se releva et s'approcha avec l'intention de délester les cadavres. Ils étaient nombreux. Toute la tribu. Pas un seul rescapé à part lui... C'était sans doute mieux ainsi.
Il commença à ramasser un sac en peau de poisson-phoque et quelques petites armes blanches (du style couteau de chasse). Puis il cessa de fouiller les morts pour se rendre dans les habitations.
Tout ce qui pouvait lui être utile finissait proprement sa course avec une réflexion chirurgicale dans sa besace nouvellement acquise. Vivres, nécessaire de survie, objets précieux et d'utilité commune. Tout était savamment pensé pour que tout trouve une place sans surcharger inutilement notre homme.
Il se mit en recherche d'une lame plus grande avec laquelle il se sentirait plus à l'aise que des putains de boomerangs... et épées courtes propres à son peuple. Mais rien. Désespéré par cette culture archaïque, il laissa vagabonder encore quelques instants son regard sur les objets qui décoraient l'intérieur de la cahute de toile et de neige la plus imposante.
Alors qu'il allait lâcher l'affaire, un objet long attira son attention. Il s'accroupit près de l'endroit ou il était entreposé à même le sol et l'étudia. Sa forme était inhabituelle et sa matière (un bois plein et noueux) le surprit énormément.
On ne trouvait pas de bois dans les pôles, ou alors très difficilement et par importation. Celui-ci devait avoir été récupéré sur un voyageur imprudent piégé dans la toundra meurtrière ou bien avoir été offert il y a longtemps aux villageois de cette tribu, certainement en gage de quelque chose qui n'importait plus vraiment désormais.
Mais très longtemps ça il en était sur au vu des clous solides mais néanmoins rouillés qui le perforait de toutes parts en son sommet.
Il empoigna ce gourdin clouté plutôt atypique et le soupesa. Il était lourd mais équilibré, le manche parcourues d'arabesques étranges, finement ciselés.
Un sourire passa furtivement sur ses lèvres. Il sortit un morceau de tissus assez grand pour l'enrouler à l'intérieur et le fixa sur lui.
Une fois ses affaires prêtes, le fils de l'eau sortit du taudis puis balança son sac sur l'épaule et commença à s'éloigner du lieu du carnage.
Quand il s'estima assez loin (soit à quelques pas de la zone souillée par le sang des siens), il posa ses affaires sur la neige immaculée et se tourna vers le village qui avait jadis été le siens. Et de sa bouche entrouverte il laissa s'échapper une prière pour ceux qui avaient quitté ce monde.
Ce n'est qu'après ces quelques minutes de recueillement qu'il reporta son sac à l'épaule et tourna les talons en direction de la toundra sauvage, monstre blanc aux crocs acérés, en suivant les éventuelles pas laissés dans la neige. En toute illogisme, Il ne devait pas avoir trop d'avance sur lui.
Et alors qu'il avançait à bon rythme, s'enfonçant à chaque pas, l'homme ordonnait à la neige environnante de venir recouvrir ses pas à l'aide de petits mouvements circulaires d'une fluidité impériale. Et forcée de répondre à ces ordres silencieux, sa maîtrise venait effacer ses traces à mesure de sa progression.