La Cité du Pôle Nord

[Kenaï Hakan]

Si le départ en trombe de l'embarcation fit rire aux éclats la jeune princesse et enrager le garde royal resté à quai, Kenaï ne s'était pas départi de son humeur sombre. Même la plaisanterie de la jeune femme n'y fit rien. S'il s'était senti soulagé au départ, ce qu'il avait avoué à Magena n'était pas toute la vérité. Ce n'était pas tellement vrai qu'il pensait que son frère ferait un meilleur chef du Pôle Nord que lui. C'était surtout que son frère avait toujours tout fait pour le rabaisser, et montrer sa supériorité, et ces luttes et signes de jalousie quasi quotidiens le minaient. L'absence de son frère, il l'avait ressenti comme un grand bol d'air frais, comme une libération, même s'il aimait Eiki malgré tout. Mais tout avait recommencé le lendemain du retour d'Eiki, ce dernier s'étant empressé de se vanter de sa connaissance du monde, entre autres choses.

Le prince poussa un long soupir, alors que son regard était plongé vers les eaux glacées du canal qu'ils empruntaient. Puis, Magena se mit à lui parler et au fur et à mesure de ses paroles, qui d'abord le frusquèrent, puisque Magena ne niait pas l'évidence, c'est-à-dire le fait qu'il n'était pas un fin bureaucrate, il commença à relever la tête. Il ne savait pas comment elle faisait, mais elle trouvait souvent les mots justes, et le prouvait là encore. Ses paroles le convainquirent, Magena avait sûrement raison. Finalement, alors qu'elle arrivait au terme de son discours, Kenaï ne regardait plus l'eau mais la jeune femme en face de lui. Et souriait. Et avait même rougi malgré lui. Adolescent, Magena avait représenté pour lui plus qu'une amie. Oui, il avait eu le béguin pour elle, mais lui avait caché ce fait. Pour ne pas mettre un frein à une amitié qui durait depuis des années maintenant. Ce qu'il ne vit pas à cet instant, c'est que Yuuna lançait un regard aussi noir qu'elle le pouvait à Magena. Alalala cette petite ne supportait vraiment pas que l'on s'approche trop de son frère, même si là, Magena n'avait rien fait en fait.

-Hé, mais tu me mets la pression là ! J'espère que je ne te décevrai pas, lorsque je deviendrai chef du Pôle Nord.

Un fait qui ne devrait pas se passer avant de nombreuses années, le père de Kenaï, Toruuk Hakan étant en pleine santé, et les années n'avaient pas encore vraiment laissé de marques sur lui.

-Mais si j'agis mal, vis à vis du peuple et du Pôle Nord, promets-moi de me le dire. Encore plus si je prends la grosse tête, , plaisanta t-il à son tour.

[Atiscomin]

-Je te le promets Kenaï. fit-elle comme si c'était naturel.

Ce genre de promesses, elle n'avait même pas besoin de les faire. Elle aurait de toute façon poussé une gueulante si Kenaï déconnait. Elle l'avait déjà fait. Elle le referait sans souci. Le prince avait déjà eu droit à une belle gifle de sa part. Pas le genre de gifle maternelle pour châtier une bêtise ou le genre de baffe pour haïr. Plutôt le genre de claque qui fait faire trois tour à votre tête simplement pour dire : "T'es con.".

Magena était venue voir discrètement Kenaï alors qu'il avait été puni par son père, ayant prit goût à ce que Magena pouvait faire comme facéties, et il avait alors tenté d'en faire une seul. Cependant, il n'avait pas saisi que se faire prendre n'était pas une option, surtout pour un prince. Il n'avait pas non plus compris pourquoi il n'avait jamais eu de souci malgré sa participation dans les gamineries de la jeune maîtresse. C'est ainsi qu'il était astreint à sa chambre, comme tout enfant, riche ou non, prince ou plébéien. La petite Magena avait eu le malheur d'aborder le sujet de sa punition sous un angle taquin, et ça s'est envenimé très rapidement.

Une phrase avait suffi pour tout faire tourner au vinaigre. -Tu ne peux pas savoir, tu n'as pas de père.

La goutte d'eau? Non. La cascade qui avait pulvérisé le vase. Si le but était de blesser, ça n'avait pas raté. Magena avait beaucoup pleuré ce soir là. Et comme à chaque fois, Migina était à ses côtés. Toujours là pour la remonter.
La maîtresse ressentit un coup de vieux malgré son jeune âge, c'était étrange de ressasser à ce point. Il faut croire que la nostalgie suit constamment les vieux amis.

Et pourtant...

D'un coup, elle avisa le regard que lui jetait Yuuna.

Que...? Elle veut me bouffer ou quoi?

-Hum... Ça va Yuuna?

Elle regarda l'enfant, puis Kenaï dans le style "Elle nous fait quoi là?", puis Yuuna, puis de nouveau Kenaï. Et comprit.

-Ooooooh...

Elle rougit un peu à son tour, enfin si tant est que l'on pouvait le voir sur sa peau mate. Mais elle avait appris à contrôler ça depuis longtemps. Elle était facilement gênée plus petite, mais son caractère avait tôt fait de régler ça. Elle ne savait pas quoi répondre, aussi ne dit-elle rien. Elle se contenta d'envoyer un peu d'eau sur son visage pour lui enlever sa moue mécontente. Il y avait peu de chances que ça plaise à la petite, mais elle n'aimait pas les rictus désagréables.

Tant pis, je lui achèterai un petit quelque chose une fois sur les quais à l'autre bout du canal.

Elle continua de maîtriser pour faire avancer la barque en silence. Puis elle se dit qu'il valait mieux anticiper:

-Tiens Yuuna. J'ai un peu d'argent sur moi. Ça te dirais un petit tour par le marché?

C'est qu'elle prenait ses TIG au sérieux.

[Kenaï Hakan]

Kenaï ne put s'empêcher de s'esclaffer. Si sa soeur avait encore fait montre de son caractère possessif envers lui, l'eau que lui avait envoyé Magena avait eu l'effet contraire de ce que la jeune femme espérait. Yuuna lui adressa son plus beau sourire, avant de lui tirer la langue. Et ne répondit pas le moins du monde à la question de la jeune femme. Au lieu de ça, elle se rapprocha un peu plus de son frère, toujours hilare. Qui trouva malgré tout le souffle pour acquiescer à la suggestion de Magena.

Les rues étaient plutôt calmes à cette heure de la journée, surtout comparé à la veille, où régnait l'effervescence d'avant fête. Et Kenaî remarqua des soldats en patrouille. Certains les surveillaient peut-être même à cet instant précis. Mais la présence de ces soldats fit se souvenir d'un détail au jeune prince :

-Tu as appris la nouvelle au fait ? Sur la présence d'un navire de la Nation du Feu ici même ?

[Atiscomin]

Magena avait été agréablement surprise de la réaction de Yuuna envers son jet d'eau. Ces deux là étaient de vrais rayons de soleil! Et ça suffisait à réchauffer la jeune maîtresse. Décidément, c'était une vraie bénédiction que ces travaux d'intérêt général.

Ils arrivaient donc au marché où il n'y avait pas grand monde, comme si après les réjouissances tout le monde s'était lassé de venir, c'était le creux de la vague. Magena en profita pour vaquer parmi les boutiques de façon plus détendue que d'habitude, la cohue était de mise en général, et il était dur de prendre son temps à un endroit sans se faire emporter par le flux des vas et vient, ou tout simplement sans avoir envie de s'échapper de cette marée humaine.

Elle avait également remarqué la garde très présente dans les environs et pensa qu'il valait mieux faire profil bas. Elle n'avait aucune envie de se retrouver avec des problèmes. C'est alors que Kenaï lui parlait de la présence d'un navire de la Nation du Feu.

-Ah? Non, je n'en avais pas eu connaissance! Il faut dire qu'après la soirée d'hier, je n'ai pas vraiment eu le temps de prendre des nouvelles. Qu'est-ce que la Nation du Feu peut bien vouloir pour envoyer un navire chez nous?

[Kenaï Hakan]

Sur le ton de la confidence, et tandis que leur embarcation filait vers le marché, Kenaï révéla tout ce qu'il savait à Magena :

-En fait, leur navire est arrivé hier soir, lorsque la cité était sans dessus dessous à cause de l'enlèvement de Yuna. Et selon les soldats que j'ai questionné, leur venue a crée une sacrée pagaille sur le port. Apparemment, deux natifs de la Nation du Feu cherchaient à s'enfuir, et nos soldats ont du intervenir pour aider à leur capture. Le navire a même subi quelques dégâts, et de ce que je sais, ces fuillards sont maintenant détenus dans la caserne. Et les soldats m'ont aussi parlé d'un homme blessé, qui a du être transporté à la maison de guérison.

Marquant un temps d'arrêt et soudain perplexe, il ajouta :

-Il est mort là bas d'ailleurs, nos guérisseurs ont été impuissant à le sauver. Mon père doit être en train de rencontrer l'un des officiers de la Nation du Feu à l'heure qu'il est. On en saura peut-être plus sur la raison de l'arrivée de ce bateau après.

[Atiscomin]

-Eh bien! J'ignorais totalement qu'il y avait eu du grabuge au port aussi! Deux bazars pour le prix d'un, hier c'était vraiment une sale journée.

Elle resta quelques instants les yeux dans le vague, pensive.

C'est dingue, pas mal de choses se déroulent en même temps d'un seul coup. Pourtant on avait une période plutôt paisible depuis quelques temps. J'espère qu'on en saura plus très vite.

Elle reprit vers Kenaï:

-C'est vraiment triste pour cet homme. Tu sais qui l'a soigné? Migina aurait pu aider si elle avait été là... Quand je lui annoncerai ça, si elle ne le sait pas déjà, elle sera sûrement dévastée la pauvre.

C'est peut-être une des rares choses pour laquelle elle le serait d'ailleurs.

-Au fait...On sait pourquoi ces deux personnes cherchaient à s'enfuir? Ils ont du faire quelque chose de grave pour tenter un acte aussi désespéré. Essayer de fuir en face d'une troupe de gardes de la Nation du Feu c'est culotté! Sûrement qu'ils auraient aussi été pris en chasse par les forces de la Cité aussi. Soit c'est de l'inconscience pure et simple, soit ils n'avaient rien de plus à perdre.

Ce genre d'histoire l'inquiétait un peu. Elle aurait souhaité pouvoir épier les conversations des haut-placés pour en apprendre plus.

Quoique... Ce n'est pas forcément impossible. Je vais peut-être laisser traîner une oreille au Palais à l'occasion. Le tout c'est de ne pas se faire choper.

Oui, d'autres idées malvenues germaient dans son esprit téméraire. Si jamais elle voyait des gens de la Nation du Feu au Palais, certainement qu'elle irai braver quelques interdits pour glaner quelques informations.

[Kenaï Hakan]

-Il a été soigné par Ama Sikut. Ça a du être un coup dur pour elle, déclara t-il simplement, mais d'une voix où pointait le respect que le prince éprouvait pour cette femme. Seule une poignée de personnes savaient que c'était grâce à elle, que le chef du Pôle Nord avait surmonté la mélancolie qui s'était emparé de lui après la mort de son épouse. Et aussi, elle avait su lui redonner confiance en la maîtrise de l'eau et les guérisseurs, ce qui n'avait pas été une tâche aisée en soit.

Happé par des souvenirs datant de cette époque là, le prince héritier détourna son regard de Magena, pour regarder sa petite soeur, qui se tenait bien sage, alors que leur barque parcourait les derniers mètres les séparant du marché. Comme un remède à la tristesse qu'il sentait venir, il éclaboussa gentiment sa soeur avec de l'eau, la faisant rire aux éclats. Il sourit alors, et répondit aux autres questions de Magena. Cette dernière apprit pas mal de détails sur ce qu'il s'était passé la veille, le prince n'étant pas avare en détails.

-Certains soldats pensent que ces deux fugitifs sont liés à la mort de cet homme. Après, ça ne reste que des suppositions, les hommes de la Nation du Feu n'ont pas donné tellement de détails apparemment. J'interrogerai mon père si ça t'intéresse, lui connait peut-être le fin de cette histoire. , fit-il, en lui lançant un regard complice, avant de manier la barque, pour la rapprocher du bord du quai. Sautant à quai justement, il l'amarra, et après avoir aidé sa soeur à poser pied à terre, galant, il tendit sa main vers Magena, pour l'aider elle aussi, même si elle n'en avait probablement nul besoin.

[Atiscomin]

-Ama Sikut? Cet homme était donc vraiment entre des mains expertes, ça ne fait aucun doute. On aura beau dire, cette bonne femme est aussi douée qu'acariâtre!

En disant ça, Magena ne se basait que sur les aperçus qu'elle avait eu de la dame lorsqu'elle faisait cours. Elle avait eu maintes fois l'occasion de la croiser en dehors de ceux-ci et c'était bien sûr quelqu'un de tout à fait charmant. Elle se plaisait donc sans méchanceté à railler la pauvre maîtresse, mais elle savait que c'était une femme de valeur. Elle écouta attentivement Kenaï déballer tout ce qu'il savait sur l'incident au port, et c'était plutôt maigre. Mais mieux que rien. En lui proposant de lui rapporter tout ce que son père pouvait apprendre, il lui faisait une belle faveur. Mais Magena était bien trop impatiente pour ça.

-Ah!C'est très sympathique merci! Tu veux qu'on se retrouve dans un lieu secret? Je pourrais mettre un grand manteau pour passer incognito comme dans ces histoires qu'on nous contait...

Elle gardait malgré tout un peu de gaminerie en elle parfois. D'autant plus qu'elle pensa en arrière-plan:

Attendre les nouvelles, très peu pour moi. J'irai écouter par moi-même pour avoir le tout en exclusivité.

Et ça ne la frappa pas une seule seconde qu'elle puisse se faire attraper et que dans sa situation déjà précaire de "délinquante", cela pourrait mal se finir. Non. Laisser sa curiosité de côté c'est pour les mollusques.

[Kenaï Hakan]

[hrp]Tu me pardonneras Atis, mais j'accélère un peu tout ça ![/hrp]

-Tu es franchement folle !, lui répond-il d'un ton blagueur, alors qu'ils déambulaient maintenant parmi les étals et autres boutiques bien garnis du quartier marchant. Il y avait du monde à cette heure de la journée, mais l'avantage était qu'ils pouvaient marcher tranquillement, personne ne semblait leur prêter attention. Enfin, ça, c'est ce que cru le prince héritier, jusqu'à ce que surgissent dans la foule un chien-ours et son cavalier. Cavalier reconnaissable, puisqu'il s'agissait d'Azaruk, le jeune garde royal.

Légèrement ennuyé, pour rester poli, Kenai l'interpella aussitôt :

-Laisses-moi deviner. Il veut que l'on revienne au palais ?

-Oui, prince. Mais pas parce qu'il craint pour votre sécurité. Il souhaite que vous assistiez à l'entrevue qu'il va avoir avec cet officier de la Nation du Feu. Vous devriez monter sur Flocon, pour ne pas être en retard, fit-il, laissant à peine le choix au prince. Qui se sentait beaucoup plus observé, maintenant que sa présence ici avait été révélé. Il en soupira même.

Puis Azaruk perdit un peu de sa rigueur en souriant à Magena, mais toujours professionnel, il ne quittait pas du regard la jeune sœur du prince qui venait de s'approcher d'un étal de friandises venant des autres nations.

-Je vois que tu as l'air de t'en sortir avec notre jeune princesse. Mais ne tardes pas à revenir au palais. Son père a failli la perdre hier, il ne sera pas du genre à pardonner la moindre chose qui pourrait lui arriver aujourd'hui.

Mais même si Azaruk ne lui dit pas, il avait confiance en elle. Devenant soucieux, il ajouta :

-En tout cas, j'ai l'impression que ta semaine se passera beaucoup mieux que celle de Lyanna. Elle a réussi à se faire un ennemi à la caserne. Ils se sont même battus en duel. Elle est vraiment exaspérante, termina t-il, avant de remonter sur sa monture.

Le prince en profita pour glisser quelques paroles à Magena, avant de rejoindre le garde royal :

-Je te raconterai tout dès que l'on se reverra au palais, promis !

Ils partirent alors, et Magena se retrouva toute seule avec la fille du chef du Pôle Nord sous sa garde. Mais avec un choix devant elle : flâner un peu ici encore, ou rentrer au palais.

[Atiscomin]

[HRP: Pas de souci Gwla, toutes les bonnes choses ont une fin comme on dit! On va se rentrer du coup ]

Magena salua chaleureusement Azaruk:

-Aza'! Salut! Tu as l'air de bien te porter dis donc! Et toi aussi Flocon!

Elle n'oubliait personne, pas même le chien-ours polaire.

-Merci encore pour la nuit dernière. Tu as vraiment géré ça comme un chef, je n'ai pas eu l'occasion de te le dire la dernière fois. J'espère que ça ira pour Lyanna, j'irai la voir si j'en ai l'occasion. Soutiens-la de ton mieux, vous êtes bons amis non? Si ce que tu m'as dit est vrai, elle en aura bien besoin.

Elle sourit et fit un clin d'oeil à Kenai quand elle entendit ses paroles. Et ils étaient partis...
Magena resta là un moment à regarder droit devant, mais n'avait pas perdu de vue la petite Yuuna qu'elle surveillait du coin de l'oeil. On lui avait assigné une tâche, et elle la mènerait à bien. Le fillette lorgnait sur des bonbons, et la maîtresse sut qu'il était temps de jeter un oeil à son porte-monnaie.

Elle ne connaissait pas très bien les goûts de la petite, aussi suivit-elle les yeux de la gamine pour choisir ce qu'il lui fallait. Le tout se passa sans que le besoin de parler se fit sentir, c'était simple et efficace. La jeune femme prit tout de même la liberté de choisir un petit assortiment de quelques friandises qui, combinées, lui avait plu toute son enfance. Elle était devenue friande toute petite de ce trio de confiseries qu'elle venait de choisir, ça avait été un véritable gouffre à piécettes pour elle. L'un était caramélisé, l'autre avait un arrière-goût de miel, et le dernier contenait une confiture de plusieurs baies.

Une fois qu'elle eut payé le tout, elle tendit deux sachets à Yuuna Hakan. L'un petit, et l'autre plus grand:

-Le grand c'est ce que tu as choisi, le petit c'est une surprise de ma part. Prend les trois bonbons en même temps en bouche, tu m'en diras des nouvelles. En attendant, je suis désolé Yuuna, mais il faut qu'on retourne rapidement au Palais. Tu veux monter sur mes épaules pour le retour? Tu auras les mains libres pour manger comme ça.

Elle lui tendit la main.