Le voyage fut assez long, mais calme. Et sympathique au final.
Certes il y eut pas mal de travail sur le navire, et pour compenser le manque de marins, Shizu elle-même fut réquisitionnée : bien qu'affectée aux cuisines, elle en sortie très souvent pour effectuer diverses tâches n'ayant strictement rien à voir avec l'alimentaire. C'est donc comme ça qu'elle fit un peu de nettoyage sur le pont, de lessive, de livraison, qu'elle crapahuta dans les coins les plus en hauteurs du bateau et qu'elle le parcouru de long en large et de haut en bas, les bras souvent chargés de machins divers. Pas bien grande, assez mince et agile, elle pouvait aller un peu près n'importe où, ce qui était particulièrement pratique.
Une jeune fille comme ça, qui ne dit pas un mot et qui passe et repasse, à force, ça suscite la curiosité. Petit à petit, les membres de l'équipage avaient fini par s'intéresser à la demoiselle et à l'apprécier, voire à la trouver attachante malgré son mutisme. Mieux, c'est peut-être ce mutisme qui en avait fait une sorte la coqueluche du navire : ça attendrit, les jolies petites demoiselles silencieuses qui s'expriment par moult gestes et mimiques en vous fixant de leurs grands yeux bleus.
Les hommes de l'équipage la saluaient toujours quand elle passait et lui donnaient des coups de mains de temps à autres. Certains lui avaient apparemment même donné un surnom, qu'ils aimaient bien crier depuis l'autre bout du pont et de préférence quand elle faisait le singe équilibriste. Cela la surprenait grandement : elle ne parlait pas et, pendant les premiers temps, filait comme le vent devant eux.. Ce n'est pas le genre de choses qui vous attire la sympathie.. Mais apparemment, c'est ce côté chat sauvage qu'ils avaient trouvé amusant... Elle était trop mignonne, disait-on .
Sur la fin, la demoiselle " communiquait" bien plus, et participait même parfois à quelques parties de cartes, où elle se débrouillait plutôt bien.
Même le cuistot avait fini par l'apprécier et pourtant ce n'était pas gagné... Carrément pas sociable et n'aimant absolument pas les étrangers dans sa cuisine, il ne fit aucun effort pour être aimable durant les premiers jours, au contraire... Le temps passant, le mutisme de Shizu et ses efforts lui firent marquer des points et l'homme s'adoucit : elle travaillait bien, apprenait vite et, se faisant discrète, ne venait pas l'ennuyer toutes les cinq minutes. Elle se débrouillait toute seule et ne parlait pas, lui foutant ainsi une paix royale, d'autant plus royale qu'elle s'absentait fréquemment de la cuisine pour trimer ailleurs. Quand il l'adopta enfin, ce fut lui qui finit par gueuler pour qu'on arrête de lui piquer son assistante. Sur les derniers jours, il y eut même quelques casseroles volantes pour accueillir ceux qui venait la réclamer....
Shizu fut particulièrement touchée de recevoir un cadeau du cuistot : s'il lui avait appris pas mal de choses en cuisine, que ce soit de lui même ou en la laissant l'observer, recevoir directement quelque chose de matériel venant de lui était symbolique .
Concernant Tung ... Elle n'avait finalement pas pu le voir souvent. L'un comme l'autre était accaparé par leurs tâches respectives durant la journée et, le soir venu, le guerrier était souvent en compagnie des autres marins. Ceux-ci avaient assez vite compris que l'homme connaissait assez peu de choses sur le "monde moderne" et, même si certains s'étaient montrés moqueurs au début, ils avaient fini par respecter le guerrier et s'étaient mis en tête de lui expliquer deux trois choses. Cela, Shizu ne pouvait que difficilement le faire sans parler et sans écrire... Pour cette raison, elle décida de reporter l'apprentissage de l'écriture. Le soir, elle passait juste un coup d'oeil par l’entrebâillement de la porte et, constatant 95% de temps que son compagnon était entouré d'hommes bien parti à discuter et à lui raconter le monde, repartait discrètement. Inconsciemment, elle en était un peu frustrée : elle aurait aimé passé plus de temps avec le guerrier ... mais en réfléchissant , ça l'arrangeait un peu : Si Tung retenait certaines notions importantes de tout ça... C'était parfait. Il n'y avait qu'à patienter en silence.
Bref, le voyage se termina paisiblement... La jeune femme en ressortait avec une peau un chouilla plus hâlée qui faisait ressortir d'autant plus le bleu de ses yeux, de précieux conseils de cuisine, un poil plus de muscles dans ses petits bras et pas mal de souvenirs. Cette petite expérience se conclu notamment par la remise d'une jolie petite somme de la main du capitaine en personne :
Bon travail vous deux : avec ça, vous pourrez tenir deux voir trois mois si vous faites des économies...leur dit-il, avant d'ajouter un ton plus bas :
Je vous conseilles de vous ouvrir un compte dans une banque et d'y mettre tout ça, ce n'est jamais une bonne chose de se balader avec autant d'argent dans cette ville.
* Shizu lui répondit par un sourire entendu. Ça, les économies, elle connaissait : on pouvait compter sur elle pour gérer son argent. Le conseil concernant le compte était bon à prendre : même s'ils n'étaient pas sur de rester longtemps, il était sage de déposer son argent quelque part. Il faudrait également songer à s'occuper de la bourse de Tung : la notion d'argent était peut-être rentrée, mais dans le doute, elle essaierai de l'aider à gérer, voire même si elle pouvait gérer tout court...
La jeune femme se tourna vers le guerrier. Maintenant qu'on était là, que voulait-il faire ?