Le contact froid de la surface du toit n'est pas des plus propices au sommeil mais Nivi saura y faire abstraction. Mais étrangement elle n'y arrive pas malgré la fatigue. La nuit est sans étoiles, le vent ne souffle plus, l'éclairage public ne montre aucune variation de luminosité, le temps semble s'être arrêté. Cette impression rend la jeune femme mal à l'aise, si bien que lorsqu'elle se concentre sur son environnement, aucun son ne parvient jusqu'à elle. Même l'air ambiant semble avoir disparu. Elle se redresse pour jeter un coup d’œil sur la rue avoisinante qui dégage une aura d'inconfort. D'autant plus qu'elle a l'impression qu'il ne s'agit pas de la même voie. La fatigue a disparu, combien de temps s'est-il écoulé ? Pour Nivi il ne s'est écoulé que quelques secondes. Entre deux clignements de paupières elle se retrouve dans la rue. Paniquée, elle se retourne dans tous les sens. Quelque soit le chemin qui se présente à elle, la destination semble la même.
Autour d'elle se forment plusieurs silhouettes. Il ne lui en faut pas plus pour se mettre en position défensive malgré l'inconfort de ne pas avoir son bracelet. Elle ne s'en était jamais servie mais sa présence seule suffisait à la rassurer en cas de force ultime. Mais elle est loin de se douter que tout ce qu'elle entreprend est futile. La peur la rend agressive, à l'image de l'humanité, et attaque la première. Le fait d'avoir le visage à l'air libre lui octroie un champ de vision plus large et la peur lui fait perdre tout avantage. Les ombres sont trop loin pour savoir si les projectiles font mouche ou non. De plus, ces dernières ont disparu.
La maître de la Terre est essoufflée, mais a encore des forces en réserve. Elle s'étonne même d'être essoufflée, puisqu'elle ne ressent aucune fatigue. Alors qu'elle relève les yeux elle fait face à trois ombres qui se tiennent face à elle. De facto, Nivi dresse un mur de pierre et le projette contre ses opposants... en vain. Elle se surprend même d'être capable de cette technique et oublie sa peur contre ses démons, pour une peur d'elle-même.
- Pourquoi nous combattre ?
- Pourquoi nous repousser ?
- Pourquoi nous fuir ?
Nivi, qui était en train de regarder ses mains tremblantes, lève péniblement la tête pour dévisager trois silhouettes humanoïdes. La peur la paralyse. Elle essaye d'articuler d'une voix fébrile, mais les éthers semblent anticiper la question.
- Tu sais très bien qui je suis, et qui tu es.
- Mais je...
- ... vois que la culpabilité t'empêche toujours d'ouvrir les yeux. Ne cherche pas à te voir. Cherche à te connaître.
- Tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé à Jedvard. Ni de ma mort, ma fille.
- Ma..?
- Il faut avancer vers ses Autres, toujours différents et tout en restant soi même. Tu te forces à être ce que tu n'es pas. Que cherches-tu dans cette course à la généalogie ?
- Je n'existerai pas plus qu'avant. Je ne récupèrerai pas mes privilèges. Je resterai Nivi af Stenkyrka.
- Je ne me vois pas dans le miroir car il ne réfléchit pas. Désormais je ne veux plus être celle que j'étais. Laisse venir à toi ton propre devenir, c'est essentiel et nécessaire. Brise ce carcan que tu t'es imposée.
Les trois ombres ont fusionné en une seule, qui se tient face à Nivi. Il s'agit ni plus ni moins que d'elle-même, les traits plus jeunes, souriante, d'avant ses dix-huit ans. Elle lui tend la main, le visage séraphique. Nivi ne fait aucun mouvement et ne songe à aucun moment de la lui prendre. Soudain, l'atmosphère se fait plus lourde, libérée de sa vacuité environnante. Une lame transperce son Moi avant de partir en fumée. Une douleur, lancinante, envahit le corps et l'esprit de Nivi. Dans la nuage d'éther, elle reconnait très bien le démon aux deux sabres de ses visions.
La fille pousse un cri. Ce n'était qu'un rêve. Sa respiration est haletante, son visage parsemé de sueur et de larmes. Elle se tient le ventre qui lui fait un mal lancinant. Mais en se redressant le dos, ce dernier est lui aussi douloureux. Ce n'est qu'en passant sa main sur son ventre qu'elle se rend compte de la cause de la douleur. Une cicatrice encore fraîche était apparue. A même hauteur et au niveau du dos, Nivi sent la même marque. Elle ne fait pas le rapprochement tout de suite, mais les cicatrices coïncident avec son essence qui s'est faite transpercée par l'un des sabres de l'ombre. Des nausées soudaines lui donne envie de vomir, son crâne lui fait aussi un mal monstrueux. Elle arrive tout de même à se contenir, avant de se rendre compte qu'il faisait toujours nuit.
Combien de temps s'était-elle assoupie ? Elle a perdu la notion du temps. Était-ce quelques minutes, plusieurs heures ou toute une journée ? Nivi s'allonge sur le dos, bras sur le ventre, à contempler le ciel étoilé. L'ambiance citadine est revenue, les bruits environnants la rassurent. Mais elle a toujours ses larmes, pendant un instant elle avait cru revoir sa mère. Plus elle reste dans cette ville, plus les choses empirent et pourtant, elle a la volonté d'y rester. Sa respiration devient plus pénible, elle suffoque. La douleur abdominale est toujours là, si bien qu'elle se recroqueville. Nivi met un certain temps avant de retrouver une respiration stable et à supporter la douleur.
Adossée contre le rebord, son esprit divague jusqu'à ne plus faire attention aux élancements. Elle n'a pas la volonté de réfléchir sur son rêve, ou sa vision. Tout ce qui la perturbe c'est qu'en plus du monde physique, elle doit maintenant aussi lutter dans celui des esprits. Nivi redoute désormais de s'endormir à nouveau, elle ne sent plus en sécurité nulle part.