– Fragments –
« Pourquoi l’élément du feu est-il le plus puissant, grand-père ? »
« Parce que le Maître de la terre sans poussière n’est rien. Parce que le Maître de l’eau sans liquide, n’est rien. Parce que le Maître de l’air sans air n’est rien. »
« Ça n’existe pas des endroits sans air ! »
« Peut-être. Mais ce que je voulais dire avant qu’une insolente me coupe est… que le Maître du feu crée sa matière. Les autres éléments, que ce soit l’air, l’eau ou la terre … sont des déplacements de matière existante. Même si l’air est présent partout, même si l’eau est dans chaque chose qui vit, même si le sol est toujours là… le feu est créé par la volonté pure. »
« Je vois pas trop la différence. En plus un Maître de l’air, il peut voler. Tu n’es même pas un maître, comment tu pourrais savoir ?! »
« Tu ne mangeras pas ce soir et tu resteras dans ta chambre jusqu’au matin. Essaie de réfléchir un peu à ce que je t’ai dit. »
« Tu t’es fait virer de l’école ? »
« Oui. »
« Mais virée… ? »
« Définitivement. »
« Mince… ton vieux va te tuer ! Pourquoi t’as pas été capable de laisser causer cette face de noble, tu sais bien que son oncle c’est le directeur. … Eh, hausse pas les épaules c’est sérieux ! C’est une petite ville ici, tu trouveras rien si on te met de côté ! Sans compter que ton vieux va régler les choses à sa manière. Qu’est-ce que tu vas faire ? En t’excusant peut-être… »
« Je vais partir. C’est pas la seule ville, pas la seule école. »
« Je vois, je te classe définitivement dans la catégorie des folles. En plus, c’est pas comme si tu pouvais te passer des cours ! Tu es la pire … »
« Je sais, pas besoin de me rappeler que ma maîtrise est minable. »
« Par contre tes coups de poing sont redoutables… »
« Le Tribunal déclare l’accusée, mademoiselle Hua, coupable de vol. La sentence est la suivante : une année de travaux forcés dans les mines ou à payer une amende de 1000 pièces en dédommagement à sa victime. Rappelons que Monsieur Zan n’a pas seulement été volé mais également agressé. En espérant qu'un travail sain et utile remette cette jeunesse dépravée sur le chemin du mérite. Le plaignant a-t-il quelque chose à ajouter ? »
« Non, votre honneur »
« L’accusé a la possibilité de choisir entre payer l’amende énoncée ou les travaux forcés »
« … »
« Mademoiselle ? »
« … »
« Bien, ce sera la mine. L’audience est close. »
« Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant que tu es libre ? »
« J’en sais rien. »
« Pourquoi tu ne viendrais pas avec moi, je vais à la capitale. Il y a du travail, des opportunités. »
« Tu es un peu optimiste toi. »
« Et toi négative, on a dit bonjour aux mines ? La belle affaire ! On est liiibre ! Libre ! Comme les papillons ! Je vais m’envoler ! »
« Calme-toi, tu es une vraie nuisance. Et t’es pas un maître de l’air, alors non... Tu ne vas pas voler. Et arrête de sauter partout. »
« Tu n’es pas heureuse d’être libre ? Tu as un superbe potentiel, j’en suis sûr ! C’est pas simple d’avoir des talents uniques, mais tu vas gérer ! Regarde-moi, je sais jongler avec des boules de feu mais c’est un peu inutile. Eh, ça ne te dirait pas qu’on monte un super spectacle de rue ! De quoi se refaire de l’argent ! Dis oui ! Dis Oui ! »
« Enlève ton bras de mes épaules ou je te grille. »
« Je croyais que t'étais un maître du feu ... sans feu... ahaha... ah, non, pas les oreilles, pas les oreilles ! »
En repensant à sa jeunesse, Kyo ne savait pas si elle devait encore être en colère ou non. Son grand-père et son éducation traditionnelle, rude et exempt d'affection qui l'avait tant pesée. Elle savait au fond d'elle que l'homme l'avait aimée et qu'il n'avait jamais su le lui dire. Qu'il avait toujours voulu pour elle qu'elle devienne un bon Maître du feu puisqu'elle avait ce potentiel là. Il espérait que grâce à cela elle puisse quitter le village fermier. Avoir une vie meilleure, plus confortable qui ne se résumera pas à trouver un mari et fonder une famille. Elle était d'accord sur le principe, femme au foyer n'avait jamais été son objectif. Mais la méthode n'avait jamais marché.
C'est sans doute pour cela qu'elle avait trouvé le courage de partir à seize ans. Et aussi parce qu'elle avait terriblement honte d'avoir été renvoyée de l'école que payait son grand-père. Cette école c'était tout pour lui. Pour Kyo, c'était une manière de faire qui ne convenait ni à son genre de maîtrise, ni à son tempérament. On était plus à l'époque ou la noblesse dirigeait tout ! A l'évidence... toujours un peu puisque le jeune paon était toujours sur les bancs et elle virée. En projet, se débrouiller semblait faisable. L'argent est vite devenu un problème. Elle fit donc sa troisième plus grosse bêtise (après, avoir essayé de fumer le tabac de grand-père et mit le feu à son stock et s'être fait virer de l'école). Voler. C'est simple. Au début, ça allait très bien, elle prenait ce qu'elle voulait. Et puis, on se montre gourmande. On se fait attraper, on se fait violenter... on réplique. On se fait arrêter.
Et condamner à la mine dans un bled reculé où on a échoué. Une année interminable. Dure. A oublier.
Une chose positive fut de rencontrer Telmo. Un jeune homme très enthousiaste qui lui offrit un moyen de gagner de l'argent sans voler. Au début, il jonglait et jouait avec le feu et elle tendait le panier en souriant. Puis, il prit la peine de s'intéresser à elle et ses capacités. Un Maître du feu incapable de créer de flamme, c'était un très grand défi, selon lui. Lorsqu'il lui donnait une flamme à contrôler, elle s'en sortait raisonnablement bien. Pas au point de créer des formes et de jongler comme lui.
Kyo, c’est quoi pour toi le feu ? C’était une bonne question. Kyo se voulait forte et finalement, elle savait bien qu’elle avait toujours eu une peur affreuse du feu. Elle avait toujours préféré l’idée de voler à celle de cracher des flammes destructrices.
Elle savait qu’elle en était capable. Parce qu’au fond d’elle, il y avait ce brasier ardent. Pourquoi était elle capable de produire une incroyable chaleur mais pas de flamme ? De ses mains, un souffle brûlant. Mais pas de flamme, aucune flamme, même pas une étincelle. A quoi ça sert une flamme ? Comment peut-on désarmer un adversaire sans le brûler ? Telmo lui a montré une manière de vivre sa maîtrise sans violence, sans combat. Un simple jeu fait pour être joli. Elle avait passé deux ans en sa compagnie à parcourir les routes. Il avait ensuite voulu quitter la capitale, pas elle. Il était parti sur une dispute qui cachait une frustration amoureuse non réciproque. Elle était restée.
Assise sur un toit, elle contemplait le couchant. Elle avait vingt ans. Et n’avait jamais créé une seule flamme. « Sais-tu pourquoi les Maîtres du feu sont puissants, Kyo ? » Elle n’avait pas pleuré depuis longtemps, mais seule sur son toit… comme un cycle infernal, une spirale qui l’a jetée au sol. Elle était jeune, elle avait l’impression d’être vielle. A quoi cela servait de savoir faire des acrobaties ? A savoir se battre de manière efficace et surprenante ? La frustration de toutes ces années provoqua le déclic nécessaire. Ce qui avait été contenu fut libérer. Ce braiser interne, cette puissance muselée. La peur, la colère, il y eu soudainement une large explosion et de la poussière partout.
Lorsqu’elle se réveilla à l’hôpital, on l’informa qu’une maison s’était effondrée alors qu’elle passait à côté et on lui demanda si elle se souvenait du pourquoi. Mentir, c’était une habitude.
Une année plus tard, elle avait progressé. Patiemment, après beaucoup de sueur. Elle arrive à créer une flamme puis à la modifier la forme. Elle arrive à l'aide d'une concentration et d'un temps certain à affiner l'intensité de la flamme. Ce qui lui permet de l'utiliser comme un chalumeau peu puissant. Une fois le feu créé, elle joue avec, le laissant courir près d'elle, sur ses membres. C'est sa danse, son spectacle. Elle jongle peu car elle ne maîtrise pas vraiment le feu à distance. Elle n'arrive absolument pas à projeter des gerbes de feu. Elle ne s'en sert que pour l'aspect joli et appuyer ses sauts. En projetant une flamme brièvement au moment de l'appui, elle s'offre le moyen de sauter un peu plus haut. Étant déjà une véritable sauterelle, singe ou tout animal agile comparable, l'effet est impressionnant. Elle gère très bien la chaleur et ne s’est jamais brûlé les doigts. Jouer avec le feu, c'est son métier.