par Alice Zara » Mar 13 Nov 2012 00:37
Le chef fit laconiquement :
- Nous sommes bientôt arrivé, ne vous inquiétez pas.
Son ton laissait parfaitement comprendre qu'aucune autre réponse ne serait donnée.
Zara soupira.
Les rêves étaient toujours là, derrière la porte. Elle serra les dents, et se concentra. Marcher droit devant elle, sans réfléchir. Faire le vide, ne pas se laisser envahir par les songes.
L'espace entre les sombres arbres menaçants s'agrandit, et bientôt le groupe arriva dans une clairière au milieu de laquelle se dressait un grand bâtiment dressé au bord d'une falaise, ressemblant aux anciennes constructions de la Nation du Feu. C'était manifestement une vieille bâtisse étonnement bien préservée du temps. Une chute d'eau non loin agrémentait le lugubre paysage.
En s'avançant, Zara constata qu'un champ de ruines s'étalait en contrebas, avant qu'une nette cassure délimite la fin de la zone de désastre et marque le début de la mer, qui s'étendait à l'horizon.
Ainsi, l'île avait bien en partie disparue...
La mer... Zara avait dû mal à reconnaître un paysage pourtant familier. L'étendu d'eau qui s'étalait à ses pieds n'avait rien à voir avec l'océan de son enfance.
Un effroyable tourbillon tournait près de la rive, et des nuages obscurs s'amoncelaient dans les airs, au dessus du maelström d'eau. Des éclairs menaçants frappaient fréquemment les flots, reliants les éléments en une macabre valse tourbillonnante.
Un monde déchiré...
- La vue est belle n'est ce pas ? ironisa l'un des hommes.
La jeune femme ne répondit pas, trop abasourdie.
Quelle énergie avait pu provoquer pareil désastre ?
Draven s'effondra alors qu'ils entraient dans le bâtiment et qu'on enlevait Hartman de ses épaules. Zara le soutient avec l'aide des hommes en noir, et on les installa dans deux fauteuils, avec couvertures et rations, pendant qu'une femme, guérisseuse apparemment, s'occupait du lieutenant. Draven s'endormit immédiatement, ne se réveillant que pour avaler quelque chose.
Zara, elle, abandona.
Flot d'images. De parfums. De goûts.
Une grande praire. D'immenses yeux bleus. Un nom : la Vallée du sang. Une saveur mentholée. Un sourire lumineux comme le soleil. Une planète rose. Une panthère. Une main, délicate et douce. Des ailes blanches dans la lumière. Une gifle, brutale. Une odeur d'iris. Un abat jour hideux. Un écran sur lequel bougent des images. Une affiche énigmatique. Un ricanement dédaigneux. Une phrase magistrale. Un au revoir déchirant. Un vent qui provoque l'envol. Une certitude absolue. Une paire de lunettes rondes. Des grands rires bruyants. Un désespoir criant. Des papillons venimeux. Un dragon affectueux. Un chevalier maladroit. Des larmes abondantes. Une rivière dorée. Une mère aux cheveux argentés. Une grande table en bois sombre. Un bol de riz collant. Une machine permettant de monter les escaliers. Un chien se transformant en lézard. Des anciens livres ouverts sur un lit. Un monde noir en ruine….
…Une vieille librairie. Un vieillard édenté. Un paysage mauve. Des violettes vertes. Une maison blanche. Un mime suicidaire. Un grognement menaçant. Un chapeau lugubre. Un château coloré. Une cafetière fuyante. Un renne chantant. Une guirlande lumineuse. Un accident atroce. Un mauvais spectacle. Une pochette de boomerang. Un soleil marron. Des cendres fluorescentes. Un monstre tout doux. Un coussin piquant. Une maison sans porte. Un arbre sans racines. Un éclair rouge. Une femme poisson discordante. Un corbeau mélodieux. Un champ de ruine.
Zara battit les paupières.
Elle se leva. Draven dormait encore.
Les agents étaient réunis près de la fenêtre. L'un d'eux tenait une longue vue, et ils semblaient inquiets à propos de quelque chose :
- Qu'est ce qu'elle fout toute seule ? Où il est ?
-Tu penses qu'il ait arrivé quelque chose ?
Zara hausa un sourcil, se demandant de qui ils parlaient. Elle mourrait d'envie de prendre la longue vue des mains de l'homme en noir et de voir de ses propres yeux de quoi il retournait. En tout cas, ils n'étaient définitivement pas les seuls humains sur cette île.
Au lieu de quoi, elle se dirigea vers la personne qui s'occupait d'Hartman. Ses mains luisantes d'eau passaient lentement au dessus du corps du lieutenant. Si la jeune femme ne voyait pas le visage de l'officiante, elle pouvait deviner sans nul doute qu'elle était extrêmement concentrée.
Zara poussa un soupir. Jamais elle ne l'avouerait, mais ne pas posséder le don de guérison, si puissant chez sa mère, la complexait atrocement. De même que de ne savoir maîtriser la glace.
Elle tourna les talons, se dirigeant vers la porte, se demandant une seconde si on allait la retenir, puis haussant les épaules, décider à tester les limites de l'hospitalité de leurs charmants hôtes en noir.
Elle avait besoin de bouger. Une crise de songerie était exactement ce qui lui avait fallu pour se remettre de la marche à pieds, et cette incursion onirique avait été incroyablement intense. Elle n'avait pas trop trinqué lors de la chute, contrairement à ses autres compagnons, elle avait eu de la chance.
Il fallait qu'elle fasse quelque chose, n'importe quoi. Mais restait immobile lui serait impossible.