Les interrogations du jeune manteau blanc l'arrache à sa contemplation de la vue plongeante sur la Citadelle. Sa réflexion sur son apparence "non-sanguinaire" l'amuse. Elle revient vers le centre de la pièce et s'accoude sur le dossier de son siège.
- Tout ce que je sais des Enfants de l'Hiver m'a été transmis par mon ancêtre, Himitsu, la sœur aînée d'Éréné Narthala. Et c'est encore elle qui a mis un terme à leurs traditions, de manière radicale si je me fie à son récit. Ces traditions étaient en effet sanguinaires et impitoyables.
Elle ménage une pause pour rassembler ses pensées :
- Je n'y avais jamais pensé auparavant, ou plutôt, je ne voulais y penser car c'était m'associer à ces légendes. Aujourd'hui, il est difficile d'éviter le sujet d'autant plus que nous sommes deux à être concernés. Les premiers à naître depuis des centaines d'années. Et à survivre à notre naissance.
Kishi sous-entendait que dû au traumatisme du long règne des Enfants de l'Hiver, il était probable que si un enfant aux cheveux blancs était né... on n'avait pas dû prendre assez soin de lui pour qu'il atteigne l'âge adulte.
La jeune femme se pencha un peu plus sur la chaise, le regard vers le sol, le menton dans la main et le coude sur le dossier.
- Yaya... je veux dire, ma grand-mère me racontait souvent ses aventures politiques, comme elle les appelait. Et d'après elle, aucun humain n'a jamais eu besoin d'avoir une couleur de cheveux particulière pour faire preuve de cruauté. Les Sourciers et la Nation du Feu en sont la preuve, regardez nos citoyens. Regardez mon oncle qui a refusé de s'occuper de moi.
Elle lève les yeux vers Iluq jusqu'à croiser son regard.
- Je ne doute pas de la véracité du récit de mon ancêtre, ni des légendes. Mais je m'interroge sur les origines des Enfants de l'Hiver. Quand sont-ils apparus ? Pourquoi ? Étaient-ils tous ainsi, dés le début ? J'ai des doutes raisonnables sur le fait qu'ils étaient assoiffés de sang. Je ne dis pas que c'est impossible, mais incertain. Ou alors je me berce d'illusions. Je ne sais pas.
Un long soupir résonne dans la pièce. Elle enfile des gants en tissu blanc et sort d'un coffre un épais carnet de cuir à la couverture patinée par le temps.
- Quoi qu'il en soit, Himitsu avait laissé une note à l'adresse d'éventuels enfants aux cheveux blancs qui naîtraient dans sa lignée ou ailleurs.
Elle l'ouvre à la dernière page et se met à lire :
- " À ceux qui naîtront coiffés de blanc, j'ai payé le prix fort pour nous libérer de notre passé sanglant.
Je ne doute pas que vous aurez entendu les légendes concernant nos ancêtres. Elles sont vraies. Nous étions des tyrans impitoyables, et bien que les temps anciens pouvaient requérir une discipline de fer, nos traditions ont perduré bien au-delà de leur utilité et de leur pertinence. Tant et si bien qu'elles nous ont mené à notre perte.
Ma sœur a profité de son aura d'Enfant de l'Hiver et d'une tribu restée longtemps isolée ayant adopté le Loup-garou pour totem..."
Kishi fait une pause et relève la tête vers Iluq, n'ayant jamais prêté attention à ces détails avant aujourd'hui. C'était... une troublante coïncidence. Puis elle reprend :
- "Ils prétendent descendre des serviteurs des Enfants de l'Hiver et qu'il était donc tout naturel qu'ils fassent de même avec nous. Je n'approuve pas ce rapprochement mais Éréné a eu besoin d'eux pour défendre le Pôle Sud et a réussi. Alors j'ai préféré prendre mes distances avec un passé que j'ose à peine décrire comme douloureux, quitte à m'éloigner d'elle. Elle n'a pas grandi en tant qu'Enfant de l'Hiver, elle sait quels sacrifices j'ai dû souscrire mais elle ne le comprend pas dans sa chair, ni dans son âme. Et c'est une bonne chose. Je ne souhaite à personne de devoir faire ce que j'ai fait pour lui offrir une vie meilleure que la mienne."
En voulant enlever une poussière, elle l'étala sur une tâche en auréole. Kishi fut stupéfaite de constater que c'était une larme qui avait gondolé le papier.
- "Mais voilà, il y a ceux qui nous craignent et il y a ceux qui nous idolâtrent. Les premiers sont à craindre bien évidemment mais ce sont les seconds dont il faut prendre le plus garde. Le sectarisme amène toujours aux abus, à la violence et à la mort. Quels que soient les idéaux, quels que soient les bonnes intentions. Je l'ai vu tant de fois tout au long de ma vie. C'est un cycle qui se répète sans arrêt. Mais je m'égare.
Si jamais des Enfants aux cheveux blancs naissent et qu'ils parviennent à lire ce message, retenez ceci :
Vous êtes libres d'être ce que vous voulez."
C'était étrange, elle l'avait déjà une ou deux fois mais c'était comme si elle le lisait pour la première. Ce texte avait une saveur particulière aujourd'hui, avec ce qu'elle savait et avec qui elle était. Elle referma l'ouvrage et le rangea avant de revenir s'asseoir.