La maison des Maîtrises de l'Eau

[Ermite des vagues]

Après une nuit plutôt agitée, le calme était revenu à l'intérieur de la maison de guérison, et Ama Sikut n'y était pas étrangère. Bien vite, elle avait repris le contrôle de la situation d'une main de fer, et sauf urgence, interdit à quiconque d'entrer. Elle n'avait pas beaucoup dormi depuis l'arrivée de Menshi Fei, la fatigue et la lassitude commençaient à peser dans son regard. Et plus les heures passaient, plus elle était soucieuse au sujet de son patient. Mais n'en montrait rien, pour n'inquiéter personne. Mais il ne fallait pas être idiot pour se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Plusieurs fois, elle vérifia ses constantes vitales et utilisa sa maîtrise de l'eau, à la recherche d'éléments de réponse. Elle avait utilisé de l'eau de l'oasis pour le soigner, arrêté l’hémorragie, mais rien n'y faisait, l'homme n'avait toujours pas repris conscience et son état n'avait pas connu d'amélioration. Et nulle prière muette adressée aux esprits de l'Eau et de l'Océan n'y changea rien. Les esprits semblaient bien l'avoir abandonné sur ce coup là. Et elle détestait cet état de fait.

Et la journée continua, sans évènement particulier, et sans qu'Ama ne s'éloigne de trop du fils du feu inconscient. Elle n'était pas la seule à s’inquiéter apparemment, l'officier qui avait amené le blessé ici n'avait que rarement quitté son chevet. Malgré l'insistance d'Ama pour qu'il prenne du repos. Malgré ses refus, on lui avait donné de quoi se restaurer, ainsi qu'une couverture.

L'attention de la guérisseuse était telle, que lorsque Menshi Fei s'agita dans son lit et que l'officier se leva d'un bond, elle ne fut pas longue à les rejoindre, même si elle resta discrète. L'air résigné de son patient, et un examen rapide, confirma ce qu'elle craignait. Même si elle tentait l'impossible, elle ne pourrait empêcher cet homme de glisser vers la mort, son destin n'était plus entre ses mains. Elle se recula alors, et d'un geste, fit signe à toutes les personnes qui étaient sous ses ordres de s'éloigner. Ils ne leur appartenaient pas d'entendre les dernières paroles d'un moribond, et elle ne voulait pas que cet homme soit dérangé alors qu'il vivait ses derniers instants. Même si elle côtoyait la mort souvent, l'émotion restait la même. Et lorsque l'officier se retourna et demanda à voir le chef du Pôle Nord, il put remarquer les yeux plus brillants de la guérisseuse.

-Il s'est battu jusqu'au bout, mais même les esprits n'ont rien pu faire. Je suis désolée., fit-elle d'une voix douce.

Et désolée, elle l'était sincèrement. Et cet échec lui restait en travers de la gorge.

-Je vais envoyer un messager au palais.

Et elle s'éloigna, laissant l'officier en compagnie du mort, qu'une jeune fille était occupée, avec un soin tout particulier, à recouvrir d'un linge d'un blanc immaculé. Timidement, et si bas que l'officier ne put comprendre le sens de ses paroles, elle formula quelques mots à l'adresse du mort, avant d'elle aussi s'éloigner.

Une vingtaine de minutes plus tard, la conseillère revint vers l'officier.

-Le chef du Pôle Nord accepte de vous recevoir au palais. Ce soldat, fit-elle en désignant un homme, vous y accompagnera.

Puis, avant qu'il ne parte, elle ajouta :

-Avez-vous quelques souhaits concernant le corps du défunt ?

Une demande qu'elle était gênée de formuler, mais après tout, il fallait bien qu'elle sache quoi faire du corps.

[Cendre]

Elle ne travaillait pas ici depuis longtemps et même vraiment pas longtemps, quelques semaines à peine. C’était un fait heureux qu’elle ait été acceptée comme assistante. Mais elle avait bien conscience qu’elle serait à ses débuts finement examinée. On disait Ama Sikut sévère et intransigeante. Elle effrayait car elle restait toujours calme. Et les mots durs sont plus terribles lorsque l’autre garde une maîtrise froide plutôt que de céder à la colère. Celui qui désobéissait ou froissait son autorité stricte avait de quoi être malheureux. On lui avait bien dit : Kaani tu feras bien attention à ne pas déplaire à ton maître. Ce n’est pas parce que tu es douée que tu dois oublier ton éducation. Ce genre de chose un peu moralisatrice qui généralement la laissait indifférente. Sauf qu’à présent, le jeu avait un arrière gout amer. Parce qu’elle n’avait pas envie de déplaire. Elle s’était décidée à temporairement envisager l’apprentissage de la guérison sérieusement.

Fini de suivre les leçons dispersées, fini de ne pas s’appliquer, fini les rêveries. Cette fois c’était sérieux et ce fait la motivait. Vraiment. Ce n’était pas pour de faux sur des mannequins, sur des animaux, mais véritablement sur des frères et sœurs de sa tribu. Vouloir s’impliquer et être utile impliquait dorénavant qu’elle avait quelque chose à perdre et décevoir. Voilà pourquoi, cette fois, Tikaani avait un peu peur de cette maîtresse. Pour l’instant, elle suivait docilement le cours du ruisseau sans trop de soucis ou chutes. Un fait, dont elle était fière. Admettons tout de même qu’en qualité de jeune apprentie, elle avait plus soigné des petites plaies qu’autre chose et s’était occupée de la literie, de toutes ces choses agaçantes parallèles aux soins…

Durant cette nuit, elle avait été sollicitée, parce qu'elle s'était trouvée là. C’est elle qui avait cherché de la nourriture (qui avait été picorée) et veillé au confort de l’officier. Une mission de la plus haute importance qui ne récolta qu’un vague merci. Bon, il était préoccupé, mais quand même. Du coup, elle était restée par là, par ici. Jamais loin. C’était son premier mort. Et même si elle n’avait que participé de loin. Si elle n’avait pas directement soigné le mourant… Elle le vit bien ce mort parce qu’elle avait le drap entre ses mains. Ces draps qu’elle a posés sur les pieds, d’abord, dont elle a soigné les angles de manière à ce qu’ils soient égaux. Puis elle l’a remonté doucement et progressivement.

Jusqu’au visage.

C’est là que sa conscience s’est approprié la réalité. Il était mort. Il devait avoir des amis, une famille, une vie, un métier… tout ça. Malgré l’eau sacrée et une guérisseuse aussi puissante à son chevet. Tout cela, pour rien. Parce qu’il était mort. Elle lâcha le drap sur le visage, et soupira alors qu’il disparaissait. Il aurait pu dormir ainsi paisible. Les traits un peu tirés et blanc, mais rien ne disait… qu’il n’était plus qu’un morceau de viande sans souffle. Ainsi recouvert, le corps lui sembla tout aussi morbide et glaçant.

Elle resta là. Un peu en retrait, mais elle resta là, car on l’avait chargée de veiller sur l’officier et son confort. Donc, elle surveillait. Et pensait. Une multitude de choses tournoyaient dans la jeune tête, des idées et des réflexions lugubres. Attendre était une sensation détestable, si au moins elle avait pu faire quelque chose…

Elle frémit en écoutant les mots demandant à l’officier ce qu’il désirait pour le corps. Ces mots doux qui la ramenèrent à une réalité plus tangible. Elle adressa une prière muette aux esprits, pourvu qu’on ne le lui demande pas à elle.
Elle n’avait pas envie de rester plus longtemps avec le mort. Parce qu’il était mort. Sans doute que le frisson et le geste nerveux qu’elle eut en plaçant une mèche de cheveux derrière une oreille échappa à la guérisseuse, peut-être pas. Elle devait être si fatiguée. Elle aurait voulu pouvoir de s’occuper égoïstement d’elle plutôt que de lui. A présent, après autant d’effort, il fallait bien quelqu’un pour la soutenir un peu, non ? On lui avait souvent reproché d’agir sans réfléchir, aussi hésita-t-elle, oscillant sur ses jambes. Devait-elle où non intervenir plus franchement ?

Après tout, elle n’était qu’une petite ombre parmi les autres. Une de ces petites mains qui venait lui proposer un peu de thé. Une qui avait osé lui proposer de veiller pour qu’elle se repose un peu. Une petite main qui était restée presque sage jusqu’à ce que les yeux innocents se posent sur l’évidence de l’humain. Un jour, il meurt. Et même les meilleurs n’y peuvent parfois rien. Et si elle restait, elle devrait aussi apprendre à accepter de voir un être mourir sous ses doigts. Elle avait masqué les tremblements de ses mains sur le drap, elle était restée bien silencieuse, mais il y avait quelque chose de préoccupé au fond des yeux pâles.

[Ermite des vagues]

L'officier de la Nation du Feu avait quitté la maison de guérison en laissant des directives simples. Que le corps du défunt soit préparé pour qu'il puisse voyager sans subir trop de dégradation durant tout le temps que durerait le trajet qui le ramènerait chez lui.

Ama Sikut, las et toujours perturbée d'avoir échoué à sauver cet homme, donna alors quelques ordres, dont celui de placer la dépouille non pas dans un cercueil ordinaire, mais de l'envelopper dans des peaux, et de le mettre dans une espèce de cercueil en glace. Le froid préserverait la chair de l'homme jusqu'à ce qu'il retourne vers ses terres natales, et les peaux épaisses empêcheraient que son état soit altéré lorsque la glace, épaisse et solide, redeviendrait peu à peu eau.

Ce fut lorsque le corps quitta enfin la maison de guérison que la guérisseuse remarqua enfin la présence d'une de ses apprenties, l'une des plus prometteuses d'ailleurs. Elle avait été si discrète, et elle même si préoccupée, qu'Ama Sikut était incapable de dire depuis combien de temps Tikaani était ici. Sûrement, comme quelques autres, avait-elle passé la nuit ici ? Peut-être était-ce même elle qui lui avait apporté du thé ? Ama ne le savait plus. Mais par contre, elle remarqua immédiatement l'air préoccupé de son élève. Bienveillante, elle s'avança vers elle, et l'observa un bref sourire fatigué aux lèvres :

-Tout va bien Tikaani ?

N'attendant pas que cette dernière ne s'exprime, elle poursuivit :

-Tu devrais aller te reposer. La nuit a été éprouvante.

[Cendre]

Comme quoi, les prières ça ne marche pas toujours. Après le drap, c’est des peaux qu’elle dû enrouler autour du cadavre avec un autre assistant. Le plus drôle fut de devoir lui confectionner un cercueil de glace. Si elle était douée pour soigner, il ne fallait certainement pas espérer d’elle une maîtrise classique efficiente. C’est sur ce constat qu’on la remercia et qu’elle quitta enfin le corps. L’inconvénient de cette situation fut qu’elle se retrouva inoccupée à nouveau. Elle alla alors nettoyer la chambre de soin qu’il avait occupée. La rendre vierge, changer le lit. Effacer toute trace de son passage pour permettre à un autre de venir ici pour se faire soigner.

Une fois cela fait, elle revint dans le couloir pour voir d’une fenêtre le corps s’en aller dans son drôle de cercueil. Lorsqu’Ama lui adressa la parole, elle sursauta comme un enfant pris en faute. En l’espace de quelques secondes, elle vit clairement le reproche usuel lui être adressé. Comment veux-tu devenir une chasseresse si tu refuses de tuer ta proie ? Elle n’avait jamais pu. En manger, oui mais devoir l’achever au couteau alors qu’il la regardait avec ses yeux moites. Jamais. Tu es trop gentille, trop fragile pour ce métier. C’était tout à fait vrai, mais elle tenait à une sorte de reliquat de fierté. La question innocente donna suite à sa réflexion morbide. Un soigneur qui ne sait pas se préserver assez et qui a le cœur gros de voir un patient mourir ne devient-il pas aussi inutile que le chasseur qui ne parvient pas à achever sa proie ?

« Non… euh.. oui, je veux dire. Enfin… »

Balbutier ainsi n’était pas non plus la meilleure image à donner d’elle. Elle était fatiguée, certes, mais trop préoccupée pour avoir l’esprit en paix.

« Si vous le permettez, je vais finir mon travail, je n’ai pas l’esprit à dormir. Puis-je vous être utile ? »

L’assistante lui rendit un sourire pâle qui s’effaça très vite. Sa prévenance naturelle avait refait surface et il était désormais évident qu’elle s’inquiétait plus de la fatigue d’Ama que de ses cauchemars à venir. Elle passa une main dans ses cheveux qu’elle avait noués pour le travail. Elle espérait qu’elle ne serait pas tout de suite renvoyée chez elle, réellement. Elle pouvait déjà imaginer les pensées qui l’assailliraient une fois qu’elle serait seule dans le silence de son lit. Comme elle n’avait plus l’âge d’aller pleurer dans les jupes de sa mère, elle resterait seule dans le noir froid. Il fallait qu’elle s’épuise réellement pour tomber comme une pierre dans son lit. Pour ne plus être capable de penser au visage qu’elle avait recouvert.

[Ermite des vagues]

L'après midi était déjà bien avancée, et maintenant que l'officier de la Nation du Feu était parti, ainsi que le corps du défunt, et les autres soldats du Feu également, la maison de guérison paraissait étrangement vide. Il n'y avait que très peu de patients à l'heure actuelle, si bien, qu'aidée par la fatigue, et son moral en berne, bien qu'elle en ait vu des morts surtout depuis qu'elle avait choisi d'être guérisseuse, il y eu un court temps de flottement, avant qu'elle ne réponde finalement à Tikaani. Elle n'avait pas énormément de tâches à effectuer à proposer à la jeune femme, mais elle avait surtout noté que cette dernière semblait préoccupée :

-Je préfère moi aussi la vie à la mort. Mais comme tu as pû le voir aujourd'hui, certaines fois, même la maîtrise de l'eau et la guérison n'y peuvent rien. Ni même les prières ni l'eau sacrée. Appelles cela la fatalité si tu le souhaites, mais c'est ainsi. Malheureusement.

Ama soupira alors, et fit son possible pour rejeter toutes les émotions qu'amenaient en elle cet échec. Devant Tikaani, pas question qu'elle se laisse aller, malgré la fatigue. Elle continua alors :

-Mais tu as choisi une noble voie, en choisissant de devenir guérisseuse, tu aideras tes prochains, et si là, tu peux être peinée, ou éprouvée par ce décès, souvent, ce métier t'apportera la joie. Parce que tu auras soigné, sauvé, et rendu le sourire à d'autres. Tu aideras aussi des mères à enfanter, fit-elle, en souriant, et de façon un peu plus personnelle. Elle n'avait pas pû avoir d'enfants, mais elle éprouvait toujours une grande joie à tenir entre ses bras des nouveaux nés. Et elle considérait chacun des enfants qu'elle soignait un peu comme s'ils étaient les siens. A

-Ces moments là, chéries-les, ils sont précieux, et ô combien bouleversant de bonheur. Mais n'oublies pas, la vie, mais aussi la mort, seront désormais tes compagnonnes. Tu t'y feras, lui assura t-elle.

Elle laissa à Tikaani le temps d'appréhender ses mots, avant de revenir à la question de la jeune femme :

-Si tu le souhaites tant, tu peux finir de ranger, avant de partir. Il n'y a aucune patient qui ne requiert que tu restes ici, et tu dois te reposer, tu as en bien besoin. Donc pas question de parlementer !, fit-elle, tenant le discours d'une mère à son enfant.

[Cendre]

Les mots qui flottent sont comme une mer indistincte qui tangue sous ses pieds. Elle écoute et à mesure le flot ruisselle sur sa peau. La mouillant jusqu’à l’os, ne laissant qu’une vague sensation de froid. Tous ces mots, elle les avait déjà entendus. Ses professeurs à l’école, ses parents. Des mots sur la vie et sa sœur la mort. Des mots. Ces mots mouillés qui cherchent à expliquer une vérité diffuse qui heurte l’âme. Et à cette seconde, ce n’est pas l’inéluctable vérité de l’échec du savoir humain ou la mort en elle-même qui la contrarie. C’est ce discours qu’elle sent fatigué, ce discours maternel, tout comme ce regard et ce terrible soupire. C’est parce qu’elle n’avait pas su être à sa place et qu’elle avait inquiéter sa Maîtresse.

Voilà l’affreuse vérité, elle n’a pas su être assez lisse, assez professionnelle.

Et à vrai dire… il lui semblait préférer veiller un mort que de voir naître une chose gluante, rougeâtre et braillarde dans d’affreux cris. Les esprits la protègent de cette terrible et répugnante épreuve. Elle réussi à masquer la grimace qui la tirailla un instant, lorsqu’elle évoqua l’enfantement. Tikaani n’avait jamais été un enfant ordinaire. Elle avait déjà sur le monde des idées très arrêtées. Ce n’était pas plus mal que la Maîtresse s’imagine que les soins étaient pour elle une vocation ou sa vocation. Cela voulait simplement dire qu’au moins, sur ce plan, elle avait réussi. Comment justifier que l’envie de chasser ne l’ait pas quitté alors qu’elle possédait un don inestimable pour sauver des vies. C’est un don sacré, un don admiré, simplement encombrant.

A l’instant, elle n’avait pas envie de rentrer. L’idée de rentrer dans la maison familiale lui inspirait la plus profonde lassitude. Juste de voir tout ce qu’elle n’avait pas pu devenir. Où juste de subir l’humour de sa fratrie. Être l’unique enfant à ne pas suivre la voie familiale avait créé une distance certaine entre elle et ses proches. Sans le vouloir, peu à peu. S’effacer de sa propre vie. En ce moment, elle préférait largement rester dans la Maison de l’Eau. C’est ce qu’elle faisait le plus souvent d’ailleurs. Elle faisait semblant de rentrer chez elle et finissait par dormir dans une chambre inoccupée ou un débarras. Elle ne quittait jamais vraiment les lieux. Elle s’inclina poliment devant la Maîtresse attendant qu’elle lui permette de prendre congé.

Merci.

[Ermite des vagues]

Ama répondit par un sourire au geste de Tikaani. Et s'éloigna d'elle, pour la laisser finir de ranger, tandis qu'elle pour revint pour sa part à ce qui lui tenait lieu de bureau. Une petite pièce un peu à l'écart, calme et meublée très simplement. Une fois assisse derrière son bureau, elle consigna sur un parchemin tous les événements de la journée. Elle espérait qu'en y couchant ses mots, elle finirait par trouver ce qui avait cloché, et fait que son patient était mort, malgré les soins qu'il avait reçu. Sauf que cela n'eut pour résultat que de la préoccuper un peu plus. Certes, cet homme en arrivant ici était mourrant, et il avait perdu énormément de sang. Mais elle avait endigué l'hémorragie, et avait utilisé l'eau sacrée pour le soigner. En toute logique, malgré sa faiblesse, l'homme aurait du s'en remettre. Mais au lieu de cela, son état ne s'était pas amélioré, et même ses prières à Tui et La n'avaient servi à rien. Tui et Là. Un frisson la parcourut en pensant aux deux poissons koï. Se pouvait-il que les esprits les abandonnent ? Elle l'ignorait, mais elle savait où elle trouverait des réponses à ses questions. Au temple de la Lune et de l'Océan.

Résolue, elle quitta son bureau, et aperçut Tikaani qui était encore là. Ne lui montrant rien de son inquiétude, elle s'adressa alors à elle :

-Tu devrais y aller maintenant. On se reverra demain matin.

Et Ama Sikut quitta donc la maison de guérison.

[Cendre]

Très bien, bonne nuit…

L’inquiétude avait été admirablement masquée et la jeune femme ne se douta pas un instant des soucis de sa Maîtresse. Elle l’imaginait rentrer chez elle et se coucher. D’ailleurs, qu’y avait-il à faire à cette heure là ? Tout le monde dormait à cette heure là. Il ne devait rester que les gardes et soldats de mission en éveil. Et elle. L’aide bailla longuement et s’étira à la manière d’un chat. Elle cligna des yeux et acheva d’étreindre les lampes qui devaient l’être.

Etant donné l’heure, elle ne souhaita pas rentrer chez elle. Elle s’installa donc dans une chambre où elle arrangea la literie. C’était coutumier chez elle. Elle prenait toujours la même petite chambre généralement inutilisée et dormait là. Le matin, elle sortait parfois pour manger quelque chose en ville ou tout simplement restait à la Maison de Guérison. Pour l’instant, elle ne se plaignait pas de cette vie. Ce qui faisait qu’elle voyait sa famille de plus en plus rarement. Mais ça lui était égal. Elle continuait à s’appliquer à faire ses exercices, inlassablement. Se noyer dans la maîtrise de l’eau, toujours un peu plus profondément. Ce qui fait qu’elle ne voyait plus ses anciens amis, qui à son goût n’en était plus vraiment.

Une fois dans son lit, elle eut un peu de mal à s’endormir. Beaucoup de pensées occupaient son esprit dont une un peu gênante. Comment cela se faisait-il qu’Ama ait échoué ? La Maîtresse avait utilisé des moyens plutôt ultimes… et rien. Il y aurait au moins dû y avoir un prolongement, un vague signe d’amélioration. Mais non. Il était juste mort. Comme ça. Malgré l’eau sacrée, malgré les prières, malgré tous les efforts d’une personne aussi experte… Elle s’endormit sur des conclusions qui ne menaient à rien et un vague sentiment de frustration aux lèvres.

[Atiscomin]

Magena avait quitté il y a un bon quart d'heure sa maison si douillette pour se diriger vers la maison des maîtrises. Elle marchait vite et préférait ne penser à rien, surtout pas à la discussion qu'elle venait d'avoir avec sa soeur. Heureusement pour elle, les bourrasques de vent glacé lui changaient les idées et elle pouvait se concentrer sur ses sensations de froid et d'effort.

Après cinq minutes de plus, elle arriva enfin à la maison des Maîtrises. Elle s'arrêta sur la place où les élèves s'entraînaient comme d'habitude. Mais elle ne voyait pas Kaleena.

Se serait-elle absentée? Il faut que je la trouve...

Tout ce dont avait envie notre jeune femme était de s'exercer pour se changer les idées. Et elle était sûre que la grande maîtresse saurait la jeter dans l’abime de l'effort comme personne. Elle continua donc de la chercher.

[Ermite des vagues]

Magena

Seulement, même en cherchant, tu ne la trouves pas, mais pendant tes recherches, tu tombes nez à nez sur quelqu'un d'autre, d'assez pressé et qui te heurte donc au passage: Kanda, l'autre professeur de maîtrise.

Il te regarde et s'excuse de t'avoir bousculé avec son plus grand sourire. Charmeur un jour, charmeur toujours. Bref.

-Mage....Magena, c'est ça ? Non, Migina ? Vous vous ressemblez tellement que je m'y perds ! Que faites-vous ici très chère demoiselle ?