[CIT] Le Palais Citadin

[Conseiller du Feu]

*L'homme, déjà debout, sourit.*

Pas autant que moi.

*S'en suivent les brèves formalités d'usage et tout le tsoin-tsoin habituel, puis le voilà de nouveau en voiture. Direction ? L'ambassade de la Nation du Feu*

[Guru givré]

Nauja pianotait des doigts en rythme sur la table sur laquelle elle prenait appui. Le prisonnier du jour lui donnait du fil à retordre. Il n'avait aucune blessure grave en apparence, quelques ecchymoses, un œil au beurre noir boursoufflé. Mais il semblait à bout de forces.

-Tu ne veux toujours pas me dire quel était votre plan ?

Il la regardait de son seul œil encore valide et cracha à ses pieds.

-Comme tu voudras, tes camarades sont déjà à mi-parcours du traitement qui en feront mes petits chiens. La seule raison pour laquelle tu y as échappé jusqu'à maintenant était que je voulais gagner du temps. Tant pis, pour toi. Ta mort aurait été rapide et sans douleur.

Emmenez-le dans la cage.

Deux manteaux blancs le délivrèrent de ses chaînes, trop faible pour se débattre ou même tenir sur ses deux jambes, il s'étala presque par terre. Les gardes le rattrapèrent un peu tard puis le soulevèrent sans ménagement, comme s'il ne pesait rien. Puis ils l'emmenèrent dans les entrailles du Palais Citadin, quelque part au loin, où on ne l'entendrait pas.

De retour dans son bureau, elle reçut la visite du Chef Kaya.

-Bonjour, Madame. Comment vous portez-vous ?
-A merveille, je te remercie. Mais il m'a semblé t'avoir dit que je ne tolérais le vouvoiement qu'en public ?
-Ma mémoire me joue parfois des tours.
-Déjà ? Dire que je ne m'en sors pas trop mal pour mon âge. Enfin passons. Ont-ils parlé ?
-Non, pas encore. Ils sont endurants, on les a entraînés à nous résister. Ils connaissent nos méthodes. Cela n'augure rien de bon.
-Rien de plus que ce dont nous nous doutions déjà.
-Certes, j'ai pris des mesures supplémentaires. Nous relèverons nos collets d'ici peu. Ah, au fait, trois sages ont pris des initiaives.
-Hm ? Tiens donc ? Sur ton conseil, je suppose ?
-Pas vraiment, non. C'est à propos des élèves qui ont disparus. Il semblerait qu'ils se soient évaporés dans la nature, sans laisser de traces. Cela vous évoque-t-il quelque chose ?
-Trop bien, oui. Mais ce massacre à la Falaise, c'était trop voyant, trop... démonstratif. Cela sortait trop de leurs habitudes. Des dissensions dans leurs rangs ?
-Nous ne savons que peu de choses. Mais nous en savions assez pour éviter à la Nation du Feu d'envoyer un troisième ambassadeur. Les Sourciers sont des gens prudents.
-Mais pas infaillibles. Ils n'en restent pas moins des hommes, et donc des koala-moutons qui suivent un chef charismatique qui a su les réunir et les unir sous sa bannière. Trouvez la tête et décapitez-la. Le mouvement s'essoufflera de lui-même. Il en a été ainsi pour les précédents, il en sera de même pour eux.
-Nous y travaillons, Kaya, je mobilise mes meilleurs agents dans ce but.
-Loin de moi l'idée de remettre en cause tes compétences, mon amie, je ne faisais qu'insister sur l'importance de la chose. Ni plus, ni moins.

Nauja soupira, agacée.

-Quelque chose te contrarie ?
-J'aimerai savoir pourquoi tu as informé l'ambassadeur de la Nation du Feu du contenu de la lettre que la Chancelière de Republic City t'a envoyé ?
-J'ai reçu un message de Gondhôl.
-Le Guru qui réside au Temple de l'Avatar ? Oui, je suis au courant. Qu'est-ce que cela vient-il faire dans l'histoire ?
-Bien que le contenu du message en lui-même soit obscur pour les profanes...
-Je peux en témoigner.
-Son... avertissement, son conseil, je ne pourrais le définir autrement, m'a donné matière à méditer sur son sens profond.
-Tu n'as aucune idée de ce que ça veut dire.
-Non, pas la moindre. Mais après un petit travail de mémoire, je me suis souvenue avoir entendu cette assertion pour le moins incompréhensible à deux reprises au cours de ma vie.
-Vraiment ?
-La première fut lors d'une des dernières visites de l'Avatar Aang. Gondhôl était déjà un homme et moi encore une enfant. Je ne me souviens pas des détails mais il est intervenu lors d'un discours de l'Avatar qui se réjouissait de voir que notre peuple restait uni malgré et à travers les épreuves. Que cela renforçait même notre lien.
-Et la seconde fois ?
-Peu de temps avant la mort de l'Avatar Aang, soit juste avant les Évènements de Republic City.
-Je vois. Pas vraiment où cela nous mène. Mais je visualise vaguement. Tu n'as pas répondu à ma question, ceci dit.
-Bien que je puisse me tromper sur le véritable sens du message de Gondhôl, j'ai le pressentiment que ce qui s'est passé il y a dix ans pourrait nous diviser alors que, dans un futur proche, nous aurons plus que jamais besoin d'amis et d'alliés.

Nauja expira lentement, retira ses lunettes puis se massa les yeux au travers de ses paupières closes. Elle se devait de reconnaître que malgré son expérience, elle ne pourrait jamais faire jeu égal avec Kaya. Elle n'était pas restée pendant quatre décennies à la tête du Pôle Sud pour rien, et certainement pas sans moyens ni ressources. Son apparence de gentille grand-mère faisait oublier qu'elle était une fine politicienne et tacticienne. Cette femme, certes âgée, n'était décidément pas à sous-estimer. Peut-être même qu'elle jouait sur ça, justement. Elle en était bien capable. Nauja se demanda alors si elle était toujours capable de merveilles avec sa maîtrise...
Elle s'éclaircit la voix et continua.

-Je t'enverrais un de mes agents pour prendre ton message.
-Inutile, j'ai déjà choisi la personne qui s'en chargera.

Nauja se redressa, posant un bras sur son bureau, la main repliée.

-Tu n'es pas sérieuse, j'espère ?
-Et pourquoi pas ? Elle a une bonne raison de se rendre à Republic City, sans éveiller trop de soupçons et elle est membre du Conseil. Elle sera traitée aux petits oignons. C'est parfait.
Oh, la vieille renarde !
-Tu vas l'envoyer là-bas sans la prévenir et seule ? Au moins dans la Toundra, tu sais que ce qui peut te tuer ! Elle n'a aucune expérience de la ville, et certainement pas de Republic City.
-Je comptais justement sur toi pour la prévenir.
-Je le sentais venir... Fort bien, je m'entretiendrais avec elle après la Confirmation. D'ailleurs, puis-je te présenter mes félicitations ou tu es du genre superstitieux ?
-Il ne faut savourer sa victoire qu'une fois déclarée officiellement. Mais je te remercie. Des pronostics ?
-Au vu des récents évènements, Tahla va se montrer au mieux difficile. Des échanges houleux et des éclats de voix sont à prévoir. Rien de menaçant donc, mais il vaut mieux rester prudent. En ce qui concerne Yahto, il a travaillé d'arrache-pied pour gagner des soutiens à sa cause. Deux ou trois l'ont officiellement rejoint mais il a semé des graines. Prudence donc. Ceci dit, les tribuns et les plébéiens apprécient la paix et la tranquillité que ta gouvernance leur apporte. Tu es un bon chef. Et ce n'est qu'une conclusion objective de l'avis général des conseillers. Certains plaisantent en disant que tu nous enterreras tous.
-Haha ! Que les esprits m'en préservent. J'ai déjà enterré plus de personnes qu'il n'est supportable de le faire dans une seule vie. Et un jour, ce sera à mon tour. Je ne m'apitoie pas sur mon sort, Nauja, je suis lucide. J'arrive à un âge que peu ont jamais espéré atteindre. Mais je n'en ai pas peur, pour ceux qui ont vécu autant que moi, ce n'est que le repos bien mérité après une longue journée de travail. Ce qui me fait peur, c'est ce qui se passera après. Je vous aurais laissé derrière moi. J'ai travaillé dur pour apporter la stabilité au Pôle Sud, j'ai peur que tout ce travail soit gâché, anéanti par celui ou celle qui me succédera.
-Même si tu nous quittais, parce que tu ne serais pas confirmé ou parce que ce serait ton heure, tu aurais encore une voix à faire entendre au conseil. Ton autorité et ta sagesse sont et seront toujours reconnues. Je m'en assurerai personnellement.
-Merci Nauja, cela me touche. Vraiment. Mais ce que je souhaite vraiment que tu fasses, c'est t'assurer qu'aucun incapable nous dirige, aussi puissant soit-il.
-Je comprends.

Nauja avait toujours éprouvé un profond respect pour cette femme. La légende et les ragots qui se racontaient étaient bien loin de la vérité. Personne n'était aussi dévouée au bien-être commun que pouvait l'être Kaya Iluak. Même si cela incluait de faire des sacrifices.

Kaya était grave, son expression tira les rides qui plissaient son visage. Nauja comprenait, mais elle avait ses propres méthodes et sa propre organisation. Il faudrait qu'elle médite tout cela à tête reposée pour étudier le meilleur angle d'attaque, la meilleure stratégie.

-Ah une dernière chose, Marashi Taka.
-Le conseiller de la tribu de l'Elk ? Oui, ils ont des problèmes avec la Femme-Loup.
-Peux-tu faire quelque chose ?
-Il faudrait que nous arrivions à la localiser afin de l'empêcher de nuire. Nous avons déjà essayé d'entrer en contact avec elle pour arriver à un compromis. Mais... les résultats n'ont pas été probants. Elle n'est pas vraiment ouverte au dialogue.
-Je vois. Agis au mieux, comme d'habitude. Je te laisse, tu as certainement plein d'affaires à traiter et moi de même. J'espère qu'à notre prochain entretien tu auras des nouvelles fraîches.
-J'en aurais.

Kaya se leva et lui serra la main avant de prendre congé. Nauja s'affala dans son fauteuil et relâcha son souffle. Elle estimait énormément la vieille femme mais chaque confrontation était épuisante nerveusement. Le Chef du Pôle Sud était comme un vétéran qui badinait de plans de bataille avec un collègue plus jeune. Il ne pouvait s'empêcher de faire des critiques implicites et d'essayer de tester ses limites.
Elle ouvrit son tiroir et sortit un cigare qu'elle alluma. Elle expira des volutes de fumée opaque.

Pourvu qu'elle nous enterre tous. Dans le cas contraire, nous serions amenés à vivre des temps bien sombres.

[Guru givré]

LA CONFIRMATION
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La salle du Conseil bourdonnait comme un essaim d'abeille-frelons. Chacun s'installait, se saluait, discutait, demandait des nouvelles de la famille, des amis etc. Que ce soit les Tribuns ou les Plébéiens, tous n'avaient qu'une seule chose en tête. La Confirmation. C'était un évènement qui avait lieu tous les six ans.

Ainsi en allait-il dans les Tribus de l'Eau du Pôle Sud.

Le gouvernement se constituait de la manière suivante : un Conseil, lui-même constitué de deux groupes distincts, élisait un Chef avec l'appui des Sages. Dans les faits, le Chef restait en place tant qu'il était confirmé tous les six ans. Et cela demeurait le fruit du jeu d'alliances, d'influences et de négociations. En bref, du jeu politique. Et pour y gagner, il fallait savoir se salir les mains, ou plus exactement s'arranger pour que d'autres se salissent les mains à votre place. Et les plus grands joueurs étaient réunis ce soir.

Yahto Parak, de la tribu majeure du Chien-Ours, dirigeant de l'Ancienne Citadelle. Conseiller en tant que Tribun. Il était de notoriété publique qu'il désirait prendre pied dans la Citadelle et plus précisément au Palais Citadin. Il était jeune mais riche et intelligent. Deux qualités qui vous font aller loi, très loin. Peut-être trop. Beaucoup s'accordent à dire qu'il est également doté d'une sage ambition. Il veut quelque chose et sait comment l'obtenir de plusieurs manières différentes, si des difficultés se dressent face à lui. Qui sait ce qui se cache derrière ce regard à demi-assoupi ?

Tahla Nakaide, de la tribu majeure du Loup-Garou, dirigeante de la Falaise. Conseillère en tant que Tribun. Malgré son jeune âge, cette jeune femme était tout autant ambitieuse que pouvait l'être Yahto Parak. Elle était son pendant féminin, en plus impatient et revanchard. Deux détails qui font obstacle à la réalisation de ses projets. Mais il fallait lui reconnaître qu'elle avait une certaine force et un certain talent pour obtenir ce qu'elle voulait. Comme si une implacable main d'acier s'abattait sur sa cible, sans espoir qu'elle ne puisse s'échapper.

Riika Quilan, de la tribu mineure du Pingouin. Conseillère en tant que Tribun et tirée au sort en tant que Arbitre de l'Assemblée du jour. Reconnue pour ses talents et compétences de juriste, Riika, malgré son appartenance à une tribu mineure, profite d'une certaine aura d'autorité. Elle est pratiquement aussi connue que les matriarches et patriarche des tribus majeures. C'est bien souvent à elle que l'on fait appel pour régler des divergences autour des textes de lois, et elle est tenue en haute estime pour son impartialité légendaire. Bien qu'elle soit un tribun, on la tient pour être digne d'entrer au conseil des Sages.

Marashi Taka, guerrier de sa tribu et tout juste nommé Plébéien. Il n'a pas encore conscience dans quel monde il vient de mettre les pieds. Il peut se montrer aussi impitoyable que peuvent l'être les prédateurs de la Toundra. On ne se fait pas de cadeaux ici, car c'est dans une arène qu'il vient d'entrer. Ou plus exactement une scène de théâtre. Aura-t-il l'intelligence et la volonté de jouer le rôle adéquat ? Ou bien se fera-t-il impitoyablement broyé ?

Raan Afut, membre des sages. Ce qui ressemblerait le plus à un dandy qui est devenu Sage. Cet homme semble pourtant tout prendre à la légère. Beaucoup se disent que c'est une simple façade qui dissimulent une véritable sagesse, d'autres sont convaincus -selon l'expression- qu'il lui manque une case. Mais bon, s'il est un Sage. Ce doit être pour une bonne raison, enfin, espérons-le.

Les trois Maîtres des Académies, également des Sages, siègent à côté de Raan Afut. Kishi Tanaraq et Raena Kalena sont également présentes, siégeant avec Marashi Taka dans la Plèbe.

Tous les acteurs sont présents.

Le Chef du Pôle, Kaya Iluak, matriarche du Poisson-Lune et dirigeante de la Citadelle, entre enfin dans la salle du Conseil. La vieille femme alla prendre place sur une estrade surélevée où elle s'assit en tailleur ; à sa droite se trouvait le chef des Manteaux Blancs, Nauja Kalena, à sa gauche le général des Armées, Taïga Namra. Riika Quilan, arbitre désignée par le tirage au sort, frappa le sol du Bâton, symbole de son autorité pour demander le silence. Peu à peu, les conversations se turent et les fils de l'eau s'assirent tandis que le silence retombait.

Construit en hémicycle, réparti en gradins, la salle du Conseil fut conçue pour qu'une personne se trouvant au centre de l'estrade puisse être parfaitement entendue par chacune des personnes présentes où qu'elle se trouve. Pour l'instant, c'était Riika qui occupait cette place.

-Je vous souhaite à tous la bienvenue et vous remercie de votre présence. Certains d'entre nous viennent de très loin pour l'évènement particulier qui nous réunit ce jour. La Confirmation. Je me permettrai de vous en rappeler les enjeux.

Selon les lois qui régissent le Pôle Sud, le Chef désigné par le Conseil doit être confirmé tous les six ans dans son rôle et sa charge, et ceci afin de se prémunir d'incompétence ou de dérives, comme l'Histoire peut en témoigner. Tout d'abord, le Chef en place fera une déclaration, un discours sur sa gouvernance des six dernières années ainsi que les six suivantes qui sera son plaidoyer afin d'être confirmé. S'en suit alors les questions, le débat et enfin le vote à huis clos. Ensuite, le décompte sera effectué sous mon autorité par une main innocente désignée par tirage au sort. Les résultats seront enfin révélés au coucher du soleil. Si le Chef n'était pas confirmé, il resterait en place jusqu'à l'élection de son successeur.

Pour poser sa candidature, il faut remplir les conditions suivantes. Le candidat doit avoir vingt ans révolus. Vingt conseillers, tribuns ou plébéiens, doivent appuyer sa candidature. Il devra déposer cette candidature auprès de l'arbitre désigné par tirage au sort et ensuite plaider devant le Conseil réuni. Le candidat élu, et donc, nouveau chef, prendra ses fonctions lors de la cérémonie de passation où il s'entretiendra avec le précédent chef qui prendra ensuite congé de ses anciennes fonctions, et aura la possibilité siéger parmi les Sages.

Que celui ou celle qui s'oppose à nos lois s'exprime ou quitte son siège séance tenante.

Tandis que l'Arbitre désigné balayait l'hémicycle du regard, beaucoup s'orientèrent vers la matriarche du Loup-Garou. Mais elle garda le silence. Riika finit de compter jusqu'à dix puis hocha de la tête.

-Je déclare donc la séance ouverte.

Le Jeu pouvait donc commencer.

[Guru givré]

Riika frappait le sol de pierre de son bâton avec violence pour obtenir le silence. Mais rien n'y faisait. Les éclats de voix explosaient dans toute la salle du Conseil, grâce à l'architecture conçue justement dans ce sens. Cela allait bientôt lui donner des maux de tête. Cela venait à peine de commencer et c'était déjà le chaos. Pourtant cela avait bien commencé...

L'arbitre désigné laissa place au chef du Pôle Sud.

[Kaya Iluak]

Kaya Iluak se leva dans un silence religieux, seul ses pas feutrés sur la pierre troublait la quiétude de la salle où une centaine de paires d'yeux suivait avec attention chacun de ses mouvements. Arrivée sur la dalle circulaire en pierre blanche -marqueur de la place clé, elle décroisa les bras et les éleva en croix.

-Bienvenue à tous. Je tiens à remercier chacun de vous qui venez tout au long de l'année afin de servir fidèlement les vôtres, d’oeuvrer au maintien de l'ordre et de la paix qui règnent sur notre peuple. Aujourd'hui, et pour la septième fois, nous nous sommes réunis pour juger mes actes et les décisions que j'ai prises tout au long des six dernières années. Je viens humblement déposer à vos pieds ce récit que je vais vous en faire.

Il y a six ans, à la suite de ma sixième confirmation, nous avons dû faire face à quelque chose auquel nous n'avions jamais été confronté. Une marée noire. Une catastrophe sans précédent et, je l'espère, sans suivant. L'exploitation du pétrole était une grande source de richesse, mais elle a causé bien plus de mal que de bien en fin de compte. Beaucoup d'entre vous, ici présents, ont souffert directement de ma décision immédiate et arbitraire de cesser et d'en interdire l'exploitation. A ceux-là, je présente une nouvelle fois mes plus sincères excuses. A ceux-là, je leur demande de me croire sur parole que cette décision fut difficile mais nécessaire, vitale, et qu'elle s'est imposée à moi comme impérative lorsque mon bateau a accosté sur les rives du Temple de l'Air Austral. L'horreur s'est emparée de moi lorsque j'ai vu des oiseaux suffoquant, tentant laborieusement de s'extraire de leur entrave visqueuse et noire. Mortelle. Les médecins ont découverts du pétrole dans leurs voies respiratoires. Que ce soit pour les oiseaux, les poissons, ou les baleines. Nous en avons également souffert. Le seul moyen, l'unique solution fut d'y mettre le feu. Le soleil fut voilé pendant des jours entiers et l'air saturé de fumées nauséabondes et irrespirables. J'ai pris cette décision dans l'intérêt de tous. Pour les générations futures, car ce qui est arrivé une fois peut se produire à nouveau. Indépendamment de toute la bonne volonté du monde. Je l'ai vu et constaté tout au long de ma vie.

Un jour, je ne serai plus là, et j'aimerai que vous vous souveniez alors de mes paroles. Il vaut mieux prévenir que guérir. Car nous ne sommes jamais trop prudents.

Et aujourd'hui, une nouvelle menace, apparue depuis longtemps à l'horizon, se précise. Je peux sans difficulté supposer que vous en avez entendu parler, voire même être directement témoins des exactions de ceux qui se nomment eux-mêmes les Sourciers. Je comprends à vos murmures échangés que c'est le cas. Fort malheureusement pour certains. Vous avez pu constaté de mystérieuses disparitions, inexpliquées et inexplicables. Je peux vous assurer qu'ils en sont responsables pour la plupart. Rien ne semble relier les victimes entre elles, femme, homme, vieillard, enfant. Ils semblent qu'ils frappent au hasard, malgré une évidente planification. Pas plus tard que la semaine dernière, ils ont frappé dans une auberge de la Falaise, le fief de notre honorable matriarche du Loup-garou. Soyez cependant certains que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les arrêter. Nul ne saurait dormir paisiblement en sachant que je travaille à le trouver et lui faire payer ses crimes.

De l'autre côté, il ne vous a pas échappé que le rayon de lumière qui a surgi au nord-ouest n'est pas naturel. Nous avons eu la confirmation qu'il provenait du maelström qui a remplacé l'Île Blanche d'autrefois. Nous en ignorons la signification, seulement que cela s'est produit juste avant son engloutissement, il y a deux siècles. Les autres nations l'ont confirmé. Cela ne fait aucun doute. Etant donné les circonstances et notre manque d'informations à ce sujet, je recommande cependant que nous n'agissions pas dans la précipitation et que nous attendions de voir ce qui arrivera. De toute manière, nous ne pouvons rien faire d'autre.

Voilà plus de quarante ans que je vous guide humblement. Nous avons traversé bien des problèmes et des crises, mais nous nous en sommes sortis à chaque fois. Ensemble. Comme toujours, et comme il en sera ainsi pour les siècles à venir. L'Avatar Aang lui-même l'a reconnu. Il louait notre unité, les liens d'amour qui nous lient les uns aux autres. Car nous nous préoccupons les uns des autres et oeuvrons pour le bien de tous. Il serait cependant naïf de ne pas reconnaître que nous nous opposons également, nous sommes humains après tout. J'ose croire qu'en mettant nos différends de côté, nous pouvons avancer ensemble. Avant de bien vite revenir à nos chamailleries privées.

Des rires s'élevèrent, des sourires fleurirent. Kaya eut un sourire sagace, et son regard, discret, coula sur Yahto Parak, Tahla Nakaide et...

-Aujourd'hui, je vous demande à nouveau de me faire confiance et de continuer à avancer vers l'avenir. Tous ensemble.

Elle s'inclina et recula de quelques pas.

[Guru givré]

L'arbitre s'avança alors et prit la parole.

-Merci, Madame.

Maintenant, vous pourrez poser vos questions. Inutile de vous rappeler que vous perdrez votre droit de parole si vous la prenez sans que je ne vous l'ai donné. La parole de chacun doit être entendue, gardez vos conversations et vos échanges pour plus tard. Qui brisera le silence devra quitter les lieux et perdra son droit de vote.

Que celui ou celle qui s'oppose à nos lois s'exprime ou quitte son siège séance tenante.

A nouveau, Riika balaya l'assistance du regard. A nouveau personne ne brisa le silence d'or qui régnait dans la salle du Conseil.

-Levez votre bras pour demander la parole, puis levez-vous lorsque je vous l'aurais donné.

Un bras se dressa aussitôt. Riika fixa des yeux gris et l'autorisa d'un signe conjugué de la tête et de la main. Une silhouette se leva dans l'assistance tandis que Kaya Iluak reprenait sa place au centre et que Riika se décale.

[Tahla Nakaide]

-Vous dîtes que vous faîtes au mieux pour les arrêter mais il y a eu de nombreuses morts. Des personnes sont mortes sur mes terres et beaucoup disparaissent encore à l'heure actuelle ! Comment justifiez-vous cela ?

Tahla Nakaide venait d'ouvrir les hostilités. Riika eut le curieux sentiment que cela allait dégénérer.

[Kaya Iluak]

Toute l'assistance retint son souffle tandis que tous les regards se fixaient maintenant sur le chef du Pôle Sud qui devait maintenant défendre son "bout de gras", comme l'aurait bien dit cette dernière.

-Il n'y a rien à justifier dans le nombre de morts et de disparus présents et à venir, conseillère. C'est un état de fait dont je ne suis pas responsable dans le sens où vous l'entendez. Oui, il y a eu un tragique incident à la Falaise mais vous avez pourtant une garde sous vos ordres. Suis-je responsable des faits et gestes de ces hommes et femmes ? Vous qui vous plaisez tant à rappeler à tous, que votre personnel est supérieur en tout.

Vous vous souciez de nos concitoyens et cela est tout à votre honneur, mais ne cherchez pas à m'attaquer gratuitement sur ce terrain-là. Vous vous tromperiez de cible. Fort regrettable au passage. Les Manteaux Blancs veillent à notre sécurité. Il y a des morts et des disparus ? Nous n'avons hélas pas le don de prescience, ni celui d'omnipotence. Nous ne sommes que des hommes et des femmes, conseillère. Et si leur travail ne vous est pas évident et que vous pouvez encore vous endormir sur vos deux oreilles sans crainte, c'est qu'ils le font à merveille.

[Guru givré]

Riika sentait que la tension montait. Kaya avait répondu en la remettant à sa place puis en se montrant conciliante en reconnaissant son inquiétude. Louer son adversaire pour l'embarrasser en public et l'amadouer. Cela tenait du génie pur. Même si la chasseresse ne croyait pas en la prédestination, elle connaissait déjà les résultats du vote. Peut-être pas dans le détail mais seule la finalité importait.

Elle porta son regard sur Tahla Nakaide pour voir si elle allait ajouter quelque chose. Mais non. Même d'ici, on pouvait voir qu'elle fulminait. Sa réputation voulait qu'elle était une fine manipulatrice, mais elle faisait face à un adversaire trop fort pour elle. Cela crevait les yeux, mais elle brûlait d'envie de hurler. Elle voyait d'ici ses poings serrés convulsivement. Comment quelqu'un d'aussi transparent dans ses réactions et d'aussi impulsif pouvait être matriarche ? Elle était trop jeune, trop inexpérimentée.

L'Arbitre se concentra sur le présent, plutôt que s'encombrer l'esprit d'un problème qui demeurait mineur.

-Est-ce que quelqu'un souhaite prendre la parole ?

Personne ? Riika compta jusqu'à trente puis lorsqu'elle arriva à vingt-sept, une main se leva. Mais pas dans l'hémicycle. Mais derrière l'estrade où siégeait le chef du Pôle Sud. Dans l'alcôve du fond, un peu surélevée pour avoir une vue d'ensemble sur la salle du Conseil, siégeaient ceux qu'on appelait les Sages. Ou encore les Vigilants.

-Sage, nous vous écoutons.

[Guru givré]

De taille moyenne, la peau mate aux cheveux nattés, il portait des vêtements élégants sans être luxueux. Il avait une expression bienveillante, ses yeux brillaient d'une vive intelligence. Il était relativement jeune pour un sage. Il devait avoir plus de trente ans, peut-être quarante mais pas plus. Il avait un certain charme, sans être vraiment beau, et un port altier qui lui donnait immédiatement une prestance qui faisait qu'on se taisait immanquablement pour l'écouter.

Tous les regards convergèrent naturellement vers lui.

-Tahla Nakaide, il vous a pourtant été dit que vous ne pouviez siéger au Conseil, et ce, en raison de votre jeune âge. Un de vos aînés aurait dû prendre votre place et votre siège. Le mépris et l'ignorance de nos lois vous exposent à de sévères sanctions.

Veuillez quitter immédiatement la salle du Conseil, mademoiselle.

Une légère inflexion sur le dernier mot ne manqua pas de provoquer une vague de tension à travers toute la salle. Tous savaient qu'il venait d'ouvrir réellement les hostilités.

Raan Afut avait parlé.