par CrazyFox » Dim 5 Aoû 2012 13:46
La musique battait son plein, lancinante et fraîche comme le courant d'eau cascadant au travers des congères. Au delà de ça, la fête qui allait marquer pour longtemps les esprits enflait de plus en plus à l'approche de la nuit. Voilà de quoi alimenter les conversations au coin du feu pendant plusieurs lunes ! Avec un sourire amer, Migina continua d'observer les vas et viens de la foule, ayant l'impression d'être une murène campée dans son trou avec sous le nez des bans de poissons allant et venant au gré de leurs fantaisies. Soupirant, la jeune femme repoussa plusieurs mèches de cheveux de devant son nez et se leva lorsqu'une autre guérisseuse arriva pour déposer un sac d'herbes. Prenant les bottes de feuilles séchés ou les sachets de poudre, elle commença le rangement de sa pharmacie.
Son regard bleu lagon se perdit un instant au fond du sac alors qu'elle repensait à ces derniers jours. Les préparations de la grande place ne lui avaient pas échappés. Depuis le début, elle effectuait un bras de fer avec les organisateurs de la fête pour qu'un kiosque d'infirmerie soit installé au même titre que ceux de divertissements et de victuailles. Après la chute du grand-père et avec l'assurance que beaucoup de personnes viendraient sur la place centrale, Migina avait estimé qu'un lieu de soin était impératif pour cette fameuse nuit. Après tout, la place centrale n'était pas forcément prévue pour autant de monde : d'habitude les fêtes avaient un accès restreint. De plus, il y aurait des boissons alcoolisées, beaucoup d'agitation en règle général ainsi qu'un entassement de foule lors du spectacle. Tout ça contribuerait à des étourdissements, des chutes et des bousculades. Un mouvement de masse avec une personne au sol et le piétinement était inévitable...
- Migina, où doit-on mettre les outres ?
La voix de sa collègue la fit sortir de ses réflexions et elle observa la jeune femme un instant avant de faire parcourir son regard sur le reste du kiosque. Tout en longueur, le fond contenait deux lits et un draps pouvait être tiré entre eux et le reste du kiosque pour conférer aux patients allongés intimité et tranquillité. Le reste était aménagé en couloir avec de part et d'autre des étagères supportant des pots en terre cuite ou des sachets qui contenaient des mélasses, baumes, poudres et feuilles pour divers soins. Pour les outres, elle étaient remplies d'infusions froides qui aideraient à l'efficacité des soins lors d'une pratique plus poussée. Anesthésiantes comme désinfectantes, l'eau de ces outres était précieuse et couteuse.
- Fait émerger de la glace quelques crochets et suspendons les entre les armoires, ainsi il y a peu de risque qu'elles soient bousculées et qu'elles ne tombent.
- Bien Migina.
La jeune guérisseuse eut un vague sourire et elle termina de classer les herbes avant d'aller sur le devant du kiosque. Là, une épaisse tenture en peau tannée était suspendue pour cacher la moitié de l'entrée. Derrière cette tenture, il y avait une table d’auscultation et quelques chaises pour l'attente de possible patients. De là, elle se perdit de nouveau dans la contemplation des passants, souriant à peine et s'inclinant parfois avec retard aux salutations qui lui étaient adressées. Soupirant, Migina regarda en direction du palais lorsque les torches s'illuminèrent. Les festivités à proprement parler allaient bientôt commencer. Sa sœur allait présenter une pièce unique pour la famille dirigeante et elle... allait être bloqué ici à s'occuper d'ivrognes et de maladroits !
- Tu devrais filer et t'amuser un peu pour une fois...
- Mh ?
La jeune fille se tourna et vit une guérisseuse plus âgée lui faire un sourire réconfortant. La femme posa un sac contenant des bandages et du coton et elle approcha pour lui caresser les cheveux. Surprise par cette tendresse, Migina n'osa bouger et elle baissa les yeux, troublée.
- A ton âge, il faut profiter de ce genre de fêtes ! Je sais que ta sœur est en charge du spectacle... tu ne devrais pas rater ça.
- Mais il faut des...
- Guérisseuse ? Et je suis quoi moi, une éleveuse de chien-ours peut-être ?
- Non, mais...
- Migina, arrête de vouloir être plus vieille que tu ne l'es. Pour l'heure, ce qu'il se passe dehors est davantage de ton âge que tu miens. Alors profite un peu et avec de la chance... tu te trouveras peut-être ENFIN un fiancé.
Choquée, la jeune fille releva un regard sombre sur son aîné et tourna les talons pour sortir de l'infirmerie. Puisqu'on ne voulait pas d'elle, elle s'en irait visiter la place centrale ! Prenant au passage son manteau, elle l'enfila tout en marchant d'un pas vif et décidé. Petit à petit, elle se calma et leva les yeux sur la pleine lune. Oui, ça allait être une soirée inoubliable. Davantage apaisée, elle commença à errer entre les fontaines et les divertissements proposés. Du regard, elle se mit à chercher sa jumelle, ne l'ayant pas vu depuis deux jours, elle espérait la croiser avant le début du spectacle. Elle pourrait ainsi lui insuffler courage et détermination... même si sa sœur n'en manquait pas le moins du monde, Migina voulait quand même témoigner à sa tendre jumelle toute la confiance qu'elle lui portait pour cette importante représentation.
Pour ce soir, Migina avait revêtu un magnifique manteau. D'un bleu sombre, la peau tannée était douce comme le velours. Le col ainsi que les manches étaient ornées d'une épaisse et soyeuse fourrure immaculée. Sur le torse et tout le long du manteau s'écoulaient en sur-couture des motifs tribaux de fils blancs ou noir avec des perles d'os et d'argent en décoration. Elle enfila ses gants blancs et ajusta le col de sorte à ce que la fourrure vienne encadrer sa mâchoire et fasse ressortir l'éclat changeant de ses yeux lagons. La brise tiède portée par les feux de camps et le souffle des centaines de personnes amassées sur la place centrale décoiffait la jeune femme qui, pour l'heure, ne se préoccupait pas vraiment de sa coiffure. Non, elle venait de repérer sa soeur... encadrée par deux hommes.
- Tsch...
La jalousie étreignit son cœur et elle se mordit la lèvre inférieure pour se retenir d'aller cracher son venin à la face de ces deux matadors. Magena était à elle, comment ces deux mâles pouvaient seulement penser à l'approcher ? Et puis, pourquoi sa sœur se laissait-elle faire ? Pourquoi les laissait-elle s'approcher autant ? Serrant un peu les points, Migina plissa des yeux en continuant d'observer le trio puis elle tourna les talons et s'éloigna. Bien, apparemment sa jumelle n'avait pas besoin d'elle ou de ses encouragements. Elle préférait la compagnie des hommes... Le cœur consumé par sa jalousie et sa possessivité, Migina alla en direction de la fontaine et observa les portes du palais encadrés d'immenses torches et de braseros. Les bras croisées et les mains glissées dans les larges manches de son manteau, elle baissa un peu la tête pour enfouir son nez dans la douce fourrure et resta à regarder la danse des flammes d'un œil sombre.
- Tu parles d'une fête... pfff...
Parlant à voix haute, elle gratta la neige du bout de son pied et fit quelques motifs abstraits sur le sol avant de les effacés du plat de sa botte et d'attendre encore que la famille dirigeante vienne leur faire l'honneur de leur présence.